A l'écoute du temps
De toute façon,
je vais finir par savoir ce qui se passe, conclut-elle en allongeant le pas,
soudainement pressée d'arriver à la maison.
Lorsque Laurette
pénétra chez elle, Carole et Richard étaient en train de ranger leurs effets
scolaires dans leur sac. Leur père, installé à l'un des bouts de la table,
était occupé à réparer l'une des portes du grille-pain.
— Puis?
demanda-t-il à sa femme en levant la tête vers elle.
En guise de
réponse, Laurette déposa les deux bulletins devant lui. Son mari repoussa
légèrement ses lunettes sur son nez et s'empara du premier relevé, consulta
brièvement les notes ainsi que le rang occupé.
— Sacrifice!
C'est tout un bulletin que t'as là, dit-il, tout fier, à son fils Gilles qui
entrait dans la cuisine après avoir retiré son manteau.
— Combien il a?
demanda Richard.
— Soixante-seize
pour cent.
238 DÉCEMBRE
— Pour moi, t'es
le chouchou de Robillard, dit-il à son frère pour le taquiner.
— Jaloux, se
contenta de laisser tomber Gilles.
Leur père ne les
écoutait pas, uniquement intéressé à consulter le second bulletin posé devant
lui. Pendant ce temps, Laurette s'était versé une tasse de thé et allumé une
cigarette sans toutefois s'asseoir dans sa chaise berçante.
— Le tiens est
pas mal aussi, dit Gérard Morin à son fils cadet.
— Est-ce que j'ai
une meilleure note que le mois passé, p'pa?
— Soixante-quatre
au lieu de soixante et un.
Un air de profond
contentement se peignit sur le visage de l'adolescent.
— Tu peux faire
encore mieux d'après ton professeur, intervint sa mère.
— Je fais ce que
je peux, m'man, protesta vivement Richard.
— Peut-être que
tu serais meilleur si tu lâchais les petites filles, lui fit-elle remarquer,
sarcastique.
— Hein?
— Il paraît que
t'es en amour. Est-ce qu'il faut préparer tout de suite les noces ou on va
attendre l'été prochain? demanda sèchement Laurette.
— C'est quoi
cette histoire-là? demanda le père, intrigué.
— Il paraît que notre
gars est en amour par-dessus la tête avec une fille, lui expliqua Laurette. Son
professeur l'a vu souvent en train de la tenir par la main.
Richard jeta un
coup d'oeil furieux à son frère Gilles qui se contenta de lever les épaules
pour lui faire comprendre qu'il n'était pour rien dans la révélation de ses
amours.
239
— Ah ben,
simonac! s'exclama Gérard. J'aurai tout entendu. Est-ce que c'est vrai ce que
ta mère me raconte là?
— Ben non, p'pa,
mentit l'adolescent. C'est juste une fille que les gars arrêtaient pas
d'écoeurer quand elle revenait de l'école. Ça fait que, des fois, je marche
avec elle jusqu'à sa maison pour qu'ils la laissent tranquille.
Ça me retarde
même pas. Elle reste à côté de l'école Champlain.
— Ouais! Ben à
partir de demain, tu la laisseras se défendre toute seule, tu m'entends?
intervint sa mère. À treize ans, t'as pas d'affaire à courir les filles. Si
j'entends encore dire qu'on t'a vu avec elle, tu vas avoir affaire à moi!
Richard, furieux, prit son sac d'école et sortit de la pièce. Son père prit un
crayon et signa les deux bulletins avant de les tendre à Gilles qui s'apprêtait
à aller se coucher à son tour.
— Tiens, rapporte
le sien à ton frère.
Gilles entra dans
la chambre où il découvrit son frère en train de lire d'un air boudeur un
Spirou emprunté à la bibliothèque de la classe.
— Tiens, c'est
ton bulletin, lui dit-il en lui tendant son relevé de notes. P'pa l'a signé.
— Le gros
écoeurant, il va me payer ça! promit l'adolescent, les dents serrées, en
parlant de son instituteur. Tu parles d'un maudit stool! Son frère déposa son
sac d'école dans un coin de la pièce, se déshabilla et se mit au lit. Dans la
cuisine, les parents éteignirent le plafonnier et ne laissèrent allumé que le
sapin de Noël pour écouter à CKAC Ovila Légaré dans Nazaire et Barnabé. Denise
vint, déjà vêtue de sa robe de chambre, se joindre à eux.
— En tout cas,
pour une fois, j'ai pas eu honte en allant chercher les bulletins, déclara
Laurette sur le ton 240 DÉCEMBRE de celle qui s'était acquittée d'une corvée
redoutée. Il y a ben l'histoire d'amour de Richard...
— Quelle histoire
d'amour, m'man? demanda Denise qui, enfermée dans sa chambre, n'avait rien
entendu.
— Laisse
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