A l'écoute du temps
bien qu'il aurait voulu en dire beaucoup plus sur le sujet et qu'il
se retenait à grand peine. L'enseignant finit par clore le sujet.
— Maintenant,
sortez vos cahiers de devoirs et transcrivez à l'encre le texte que je vais
écrire au tableau.
Oubliez pas de
mettre votre transparent.
Sur ce, le gros
homme se leva et, un livre à la main, entreprit d'écrire au tableau d'une belle
écriture soignée un court texte d'Alphonse Daudet. Il y eut un bref brouhaha
quand les adolescents soulevèrent le couvercle de leur pupitre pour sortir leur
cahier de devoirs. Ils prirent leur porte-plume, y insérèrent une plume à un
cent et ouvrirent leur encrier. Ils se mirent au travail sans perdre un instant
243 pour ne pas s'attirer les foudres de leur enseignant. De temps à autre,
Louis Nantel jetait un regard derrière lui pour s'assurer que tous travaillaient
avec application et transcrivaient le texte qu'il écrivait au tableau.
A un moment
donné, il remarqua que deux, puis trois mains s'étaient levées, accompagnées
d'un «M'sieur» pressant.
— Qu'est-ce qu'il
y a? finit-il par demander d'une voix impatiente en se tournant carrément face
à sa classe.
— J'ai plus
d'encre dans ma bouteille, répondirent trois voix presque en même temps.
— On peut dire
que vous choisissez votre moment, vous trois.
Richard leva la
main à son tour.
— Oui, Morin?
Qu'est-ce qu'il y a? T'as plus d'encre toi non plus?
— Non, monsieur,
mais j'écris vite. Si vous voulez, je peux aller mettre de l'encre dans leur
encrier pendant que vous finissez le texte.
Cette soudaine
bonne volonté aurait dû alerter un instituteur aussi expérimenté, mais il n'en
fut rien.
— C'est correct.
Fais ça vite et dérange pas les autres, accepta Louis Nantel en se retournant
pour poursuivre sa tâche.
Richard ne perdit
pas un instant. Il se leva, monta sur l'estrade où se trouvait le bureau de
l'enseignant, alla prendre le gros contenant d'encre bleue dans l'armoire
située à l'extrême droite et se dirigea vers le pupitre de Henripin. Il ajouta
un peu d'encre dans son encrier.
L'instituteur
tourna la tête dans sa direction pendant un bref moment pour le regarder faire
avant de se retourner vers le tableau pour poursuivre sa tâche. Richard répéta
rapidement la même manoeuvre aux pupitres de ses copains Roy et Cholette.
244 DÉCEMBRE En
revenant vers l'avant de la classe dans l'intention apparente de rapporter la
nourrice d'encre dans l'armoire, il en dévissa hypocritement le bouchon. À son
arrivée au pied de l'estrade, l'adolescent feignit de buter contre elle et
échappa volontairement vers l'avant la grosse bouteille en plastique en
poussant un cri comme s'il s'était fait mal en heurtant l'estrade.
Louis Nantel, la
craie en l'air, fit un saut de cabri pour éviter bien inutilement d'être
éclaboussé par toute cette encre bleue projetée vers lui. Il y eut un cri de
stupéfaction dans la classe et la moitié des élèves se leva d'un même mouvement
pour pouvoir constater l'étendue des dégâts.
— Maudit gnochon!
hurla l'instituteur, rouge de colère. Regarde ce que tu viens de faire, dit-il
à Richard en lui montrant l'estrade, le mur et surtout ses jambes de pantalon
couverts d'encre. T'es pas capable de regarder où tu mets les pieds quand tu
marches? Assoyez-vous, vous autres! cria-t-il aux élèves debout à leur place.
— C'est un
accident, monsieur, balbutia Richard en prenant un air pitoyable. J'ai pas fait
exprès.
— Va chercher du
papier dans les toilettes tout de suite et reviens m'essuyer ça! lui ordonna
l'enseignant sur un ton rageur. Fais ça vite! L'adolescent sortit de la classe
et revint avec du papier essuie-tout tiré de la distributrice installée dans
les toilettes.
— Essuie le mur,
commanda Louis Nantel qui savait fort bien que le bois de l'estrade avait bu
l'encre répandue aussi rapidement que le tissu de son pantalon.
Lorsqu'il se
rendit compte que Richard ne parvenait qu'à empirer les dégâts avec son papier,
il lui ordonna sèchement de jeter le papier dans la corbeille et d'aller
s'asseoir. Ce dernier obéit en adoptant un air coupable des plus convaincants.
245 Évidemment,
la rumeur de ce qui s'était produit dans le local de la sixième année C se
répandit comme une traînée de poudre durant la récréation de l'avant-midi.
Quand Richard
abandonna ses copains au coin de la rue
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