A l'ombre de ma vie
Ils pourraient être des témoins clés, pourtant, et même
si je comprends qu’ils aient peur, je désespère encore un peu plus. Des
victimes qui mentent, des témoins qui mentent, comment peut-on s’en
sortir ?
Je suis le plus souvent seule dans ma cellule, et maintenant
j’ai le dossier que m’a copié mon avocat. C’était une idée de mes codétenues,
elles voulaient qu’on l’épluche ensemble. Mais elles sont parties et, toute
seule, je n’arrive pas à m’y mettre. Parfois, je sors une de ces grosses
chemises que j’ouvre sur mon lit, je commence à étaler les feuilles, à les
lire, mais le plus souvent je me mets à pleurer, tout cela me décourage. C’est
difficile de lire toutes ces choses dont la plupart sont inventées dans
l’unique but de me maintenir ici, en prison. Mais qui est derrière tout
ça ? C’est la question que je me pose le jour où vient témoigner Edouardo
Margolis. « Cinquante et un ans, chef d’entreprise », se
présente-t-il. Il a l’air infiniment respectable, mais lui aussi traîne un
parfum sulfureux de crime et de corruption. Lui aussi impose un respect
craintif, et même plus encore que les policiers l’autre jour. Je sais qu’il a
mille raisons d’en vouloir à mon frère parce que les choses se sont vraiment
mal terminées, entre eux. Et s’il avait cherché à se venger à travers
moi ? Je sais que cette idée est venue à mes parents. On n’ose pas trop en
parler, pourtant, parce que c’est un homme très puissant et qu’il fait peur.
Margolis possède diverses entreprises et il a créé récemment
une société de blindage de voiture ainsi qu’une sorte d’officine très
particulière, spécialisée dans la résolution d’enlèvements. On le disait déjà
très proche de la police avant cela, mais cette fois il travaille ouvertement
avec elle.
Cela expliquerait sa présence dans les locaux de la Siedo le 9 décembre. Margolis y était justement la veille, au moment de notre
arrestation, le registre d’entrées le prouve. Il y était alors que j’étais
retenue dans cette camionnette toute la nuit, devant le bâtiment. Je sais bien
que c’était là, puisque je l’ai vu brièvement, par cet espère de périscope dans
le toit de la camionnette. J’ai vu l’immense monument de la Révolution avec la
locomotive à ses pieds. Les locaux de la Siedo sont sur cette place et
c’est bien là que nous avons été conduits, après le simulacre du ranch, le
matin du 9. Pourquoi Margolis y était-il ? En tout cas, il a très bien pu
entendre parler de notre arrestation et du fait que j’étais avec Israël, alors
que ce n’était manifestement pas prévu. C’est une hypothèse qui colle :
elle expliquerait pourquoi les policiers m’ont traitée correctement au début,
en m’assurant qu’ils me relâcheraient bientôt, que je n’étais que témoin, et
pourquoi à la fin de la nuit j’étais devenue coupable. Car, si Margolis a
entendu dire que j’étais aux côtés d’Israël, s’il a entendu mon nom, il a pu,
comme on le dit, demander qu’on m’implique dans tout cela. Par vengeance. Cela
expliquerait le changement de ton des policiers à la fin de la nuit. Les
premières insultes, puis les coups, leur détermination à m’accabler et à me
faire accuser devant les caméras. Et surtout ces mots glaçants que je n’ai
jamais oubliés et que je ne comprenais pas, sur le coup, quand nous étions
interrogés dans les bureaux de la Siedo : « Tu n’as plus
aucune chance. Il va t’enculer, Margolis ! ».
Je frissonne en repensant à tout cela, alors qu’il est là,
tranquillement assis sur une chaise du tribunal et qu’un secrétaire de la juge
le questionne poliment, sans essayer d’en savoir plus que ce qu’il veut bien
dire. Il a le ton et l’allure détachés de ceux qui n’ont rien à craindre, l’air
vaguement méprisant de l’homme qui a l’impression de perdre son temps. Je ne
sais pas s’il savoure une vengeance ou si je suis parfaitement insignifiante
pour lui, mais il n’a pas un regard pour moi. Pas moyen de croiser ses yeux,
d’y lire quoi que ce soit ou de lui faire connaître mes angoisses. D’ailleurs,
il s’en moquerait bien, lui aussi.
Avant que le procès se termine, M e Horacio Garcia
demande au tribunal que soit citée Lupita. Ce serait logique, après tout :
c’est sa maison qui est reconnue par Cristina Rios Valladares et son fils
Cristian Hilario. Il faudrait aussi faire entendre
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