A l'ombre de ma vie
une
bonne idée. On ne sait pas comment la presse mexicaine interpréterait cette
visite, il ne faudrait surtout pas que cela passe pour de la provocation.
Soit. Mais alors, avant de partir, très ému, il ne peut pas
s’empêcher de dire :
— Monsieur le président, ce serait bien si vous
reveniez avec ma fille…
Alors, Nicolas Sarkozy se lève, s’avance vers mon père et
lui dit :
— Je ne reviendrai pas avec elle. Ils ne la relâcheront
sans doute pas tout de suite.
Puis il le prend par les bras et, fermement :
— Votre fille passera l’été avec vous.
Mais Frank Berton a relevé une faille. La lettre de Felipe
Calderón précise qu’il faut aller au bout du processus judiciaire pour
appliquer la Convention de Strasbourg. Et admettre la peine, donc le principe
de ma culpabilité.
— Florence ne le voudra jamais, Monsieur le président.
Il me connaît bien. Jamais je ne pourrai me résoudre à cela.
Avouer ce que je n’ai pas fait – et surtout une chose aussi grave –, je ne le
veux pas. À aucun prix. Je ne signerai pas, c’est déjà décidé.
— Si vous êtes d’accord, quand je serai là-bas, je
l’appellerai. Et je la convaincrai.
Évidemment, ils sont d’accord. Frank ne me parle pas de
cela, le soir, au téléphone, mais il me raconte tout le reste. Il m’a fait part
de sa conviction : je ne pourrai jamais prouver mon innocence face à cette
justice.
C’est une mentalité d’Européen de croire qu’un jour ils vont
se réveiller, ils vont voir, comprendre, admettre. Eux, c’est la manipulation,
et face à cela on est désarmé.
Le président semble d’accord. Le climat est à la méfiance,
et ils pensent que l’important est que je sorte de ce pays.
X
L’arrivée imminente de Nicolas Sarkozy jette une lumière
crue et inattendue sur le Mexique. Ce qui devait être une rencontre d’hommes
d’affaires, avec signatures de contrats ou d’accords réciproques, juste un
resserrement des liens entre deux pays aux rapports sans nuages vire à
l’affrontement tendu – et tout cela autour de mon cas. Dans la presse
française, les articles décrivent l’état déliquescent dans lequel se trouve le
Mexique, miné par la criminalité, et dont certains États échappent en grande
partie à l’autorité et au droit. Les cartels sont très puissants, et certains
d’entre eux seraient tenus par des personnages politiques de haut rang, à l’échelle
fédérale ou dans les États. Des journaux ressortent les derniers rapports
d’Amnesty International, qui fait état des assassinats en pleine rue – plus de
trois mille, pour l’année 2008, dont beaucoup de policiers, mais aussi des
magistrats, des hauts fonctionnaires et des journalistes. Des équipes de
télévision montent à la frontière des États-Unis, où la ville de Ciudad Juárez
est livrée aux gangs depuis plusieurs années. Des dizaines de femmes y ont été
violées, torturées et finalement tuées, laissées sur les bords des routes, dans
les années quatre-vingt-dix, sans qu’aucun des criminels ait été arrêté. Sauf
un vieil Égyptien marginal qui a été présenté comme un monstre sanguinaire. Il
a fini par mourir en prison à force de clamer son innocence. Depuis, les
habitants ont pris l’habitude de se défendre seuls : plus personne ne sort
sans arme à feu.
Les règlements de comptes sont quotidiens, et même l’armée
ne réussit pas à rétablir l’ordre. À travers tout le pays, des organisations
criminelles aux méthodes mafieuses construisent leur fortune autour d’un trafic
de drogue à grande échelle en direction des États-Unis, gros consommateurs et
insatiables demandeurs. Depuis quelques années, la terrifiante pratique du
kidnapping s’est développée au point qu’on dit souvent, ici, avec un
désenchantement rageur que c’est devenu un sport national. Ce ne sont plus
seulement les entrepreneurs ou les chefs de gang qui sont pris en otage, pour
leur fortune ou pour régler des comptes. Plus personne ne semble réellement à l’abri,
depuis que les seconds couteaux, les hommes de main, ont recours à ces méthodes
pour améliorer leurs revenus. Les leaders laissent faire : tout ce que
leurs hommes gagnent ainsi, c’est autant qu’ils ne réclameront pas.
Ce n’est pas une peinture misérabiliste, délibérément
sensationnelle, mais simplement la réalité. Felipe Calderón donne d’ailleurs
deux longues interviews, dont une au journal Le Monde, où il
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