À l'ombre des conspirateurs
question.
Parmi ses invités figuraient le commandant de la flotte de Misène et un groupe de capitaines de trirèmes. La marine était vraiment composée d’individus coriaces. Au cours des récentes guerres civiles, les actes de piraterie s’étaient multipliés en mer Noire, mais sur la côte ouest, le calme régnait quasiment depuis Pompée. La flotte de Misène n’avait pas grand-chose à faire, si ce n’est s’acquitter de toutes les obligations sociales pleuvant sur elle. Des fêtes se déroulaient chaque soir tout autour de la baie de Naples, les marins démontrant d’étonnantes capacités d’absorption. Le plus stupéfiant, c’est qu’ils se montraient ensuite capables de regagner leur base bras dessus, bras dessous, en hurlant des chansons d’une telle obscénité qu’elles faisaient pâlir les hommes restés plus sobres. Quand il y en avait.
Quittant la maison à leur tour, la demi-douzaine de capitaines de trirèmes se prirent soudain pour des chiens de chasse. Ils se mirent à hurler à la lune, à aboyer, à se mordiller, à s’offrir la patte de devant, à haleter, langue pendante, se reniflant mutuellement le derrière. Leur commandant faisait le tour de leur petit groupe à quatre pattes, en bêlant comme un mouton. Se tenant tous par les épaules à la façon de frères de sang, ils escaladèrent la passerelle de leur bateau en marchant de côté comme des crabes. L’un deux serait vraisemblablement tombé à l’eau s’il n’avait été soutenu par les autres. Finalement, ils disparurent dans les entrailles de leur navire.
La soirée nous parut plus mélancolique après leur départ. Petronius déclara que son respect pour la marine avait triplé.
Alors que nous nous apprêtions à quitter les lieux, Helena Justina pensa à Æmilia Fausta. La dame en question était effondrée en larmes dans l’atrium. Elle paraissait avoir abusé du vin. Tout autour d’elle, les cuisiniers et leurs aides rassemblaient les restes et mettaient de l’ordre, sans prêter aucune attention à ce spectre qui pleurait à genoux. Je vis Helena se raidir.
— Ils la méprisent, dit-elle. Elle se conduit stupidement, et surtout, elle n’a pas d’homme pour s’occuper d’elle.
Soudain pris de timidité, Petro et Larius firent un pas en arrière. Helena, elle, arrêta un esclave et exigea des explications. Il raconta que Fausta avait fait une entrée remarquée dans la villa, au beau milieu du repas. Le banquet ne comptait que des invités mâles, les attractions étaient toutes féminines, et l’atmosphère particulièrement… détendue.
— Æmilia Fausta a trouvé Aufidius Crispus emmêlé dans une danseuse espagnole ?
— Non, répondit l’esclave qui nous jeta un regard en coin. Il s’était emmêlé dans deux.
Il s’apprêtait à entrer dans les détails, mais Helena Justina produisit un sifflement entre ses dents. L’esclave se rappela opportunément qu’il avait autre chose à faire.
Selon une habitude bien établie, Fausta s’abîmait dans son chagrin. Crispus ne s’était probablement même pas aperçu de sa présence. À présent, elle se retrouvait coincée dans une villa inoccupée, les organisateurs du banquet s’apprêtant à s’en aller, après avoir jeté les détritus à la mer.
Helena Justina ne l’entendait pas de cette oreille. Elle insista pour que quelqu’un aille quérir la chaise de la dame. Ce soir-là, l’un de ses porteurs boitait, et l’autre avait le cou plein de furoncles.
— Pas question de la confier à ces deux benêts ! trancha Helena Justina.
Avec l’aide de Petronius, je parvins à hisser Fausta dans sa chaise, et les esclaves la traînèrent jusqu’à notre auberge. Pendant que nous discutions sur ce qu’il convenait de faire, elle parvint à quitter sa chaise toute seule. Arpentant la plage à grandes enjambées, elle se mit à maudire les hommes, en nommant avec une telle précision ce qu’elle souhaiterait leur couper que je m’en sentis tout chose.
Je commençais à en avoir par-dessus la tête de toute la famille. Pour faire plaisir à Helena, j’acceptai pourtant de perdre encore une bonne partie de la soirée à m’occuper d’elle. Si seulement un bandit en quête d’une souillon pour faire réchauffer sa soupe pouvait l’enlever en route !
J’installai d’abord Helena Justina dans sa propre litière, afin qu’elle regagne la Villa Marcella. Cela prit beaucoup de temps, pour des raisons qui ne regardent que
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