À l'ombre des conspirateurs
ma famille, en revanche, on n’arrivait plus à se procurer du pain.
— Le blé ! s’exclama-t-elle. C’est l’Égypte qui approvisionne toute la ville. Vespasien avait le soutien du Préfet d’Égypte. Il a donc tranquillement attendu tout l’hiver à Alexandrie, en faisant savoir à Rome qu’il contrôlait tous les navires transportant du grain.
— À présent, essaie d’imaginer que tu es un sénateur dévoré par l’ambition politique, mais que tes seuls zélateurs se trouvent dans une province perdue. Noricum, par exemple…
— Noricum ! gloussa-t-elle.
— Exactement. Aucun espoir de ce côté-là. À présent, supposons que cette année, quand les navires chargés de blé en provenance d’Égypte arriveront en vue de la péninsule…
— La flotte les intercepte ! m’interrompit Helena, horrifiée. Marcus, il faut les empêcher de faire ça ! (J’eus soudain la curieuse vision d’Helena Justina en déesse de la mer, à la proue d’un bateau quittant Naples, et tendant les bras pour arrêter un convoi de navires de guerre. Elle ajouta :) Marcus, tu es sérieux ?
— J’en ai bien peur. Et on n’est pas en train de parler de deux sacs se balançant sur les flancs d’un âne, tu sais. Maintenant, il nous reste à découvrir qui, de Pertinax ou de Crispus, s’occupe de la réalisation de ce plan abominable.
— Cela me paraît clair, affirma Helena. C’est Crispus qui organise des fêtes pour la flotte.
— Tu as raison. Ils ont concocté ce beau plan ensemble, mais après les derniers faits d’armes de Pertinax, Crispus doit plutôt le considérer plutôt comme un handicap… Les navires partent pour l’Égypte à partir d’avril…, méditai-je tout haut. Les Nones d’avril : le Galatée et le Vénus de Paphos. Quatre jours avant les Ides : le Flore. Deux jours avant mai : le Lusitanie, le Concorde, le Parthénope, et Les Grâces… Il faut trois semaines pour aller là-bas, et près de deux mois pour revenir, car on navigue contre le vent. Les premiers bateaux ne devraient pas tarder à rentrer.
— D’après toi, Marcus, quelle sera leur tactique ?
— Prendre les bateaux en otage quand ils vont se présenter, et les obliger à jeter l’ancre dans un endroit précis. À leur place, j’attendrais que le Sénat envoie un préteur arrogant pour négocier, et je commencerais à vider les sacs par-dessus bord. La vision de la baie de Naples transformée en un vaste bol de bouillie devrait produire l’effet escompté.
— Mais qui t’a demandé d’enquêter sur les importations de grain ? s’enquit Helena Justina d’une voix bizarre.
— Personne. Je l’ai découvert tout à fait par hasard.
De manière surprenante, elle m’étreignit en riant.
— Qu’est-ce qu’il te prend ?
— Oh ! je suis heureuse de remettre mon avenir entre les mains de quelqu’un qui connaît si bien son métier !
66
Je pris la décision d’aller fouiller la Villa Poppée pendant que Crispus y séjournait.
L’idéal eût été de m’y faufiler seul. Mon talent naturel de détective privé aidant, je me serais présenté aux dîneurs au moment exact où ils achevaient de fignoler les détails les plus sordides de leur plan. Muni de toutes les preuves nécessaires, Marcus Didius Falco, notre héros préféré, aurait pu les défier, les confondre et, sans l’aide de personne, les mettre aux fers. Tous.
La plupart des détectives privés se vantent perpétuellement d’épisodes de ce genre. Ma vie, hélas ! se déroule selon un canevas beaucoup moins glorieux.
Il me fallut d’abord compter avec Helena, Petronius, et Larius. Ne pouvant résister à leur curiosité naturelle, ils insistèrent pour m’accompagner. Conclusion : nous arrivâmes comme des joueurs de tambours de deuxième catégorie, trop bruyamment et trop tard. Alors que nous nous tenions sur la terrasse, débattant de la meilleure façon de pénétrer dans la maison, les dîneurs défilèrent devant nous. Aucun n’accepta de se confesser. Il aurait d’ailleurs été impossible de leur arracher une seule parole sensée.
Crispus lui-même conduisait l’exode, les pieds devant. Des esclaves impassibles le ramenaient sur son bateau. Ils avaient tout simplement pris la table sur laquelle il s’était écroulé, les membres épars. Il s’écoulerait un certain temps avant que son honneur n’ouvre un œil, et un plus long encore avant qu’il puisse répondre à la moindre
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