À l'ombre des conspirateurs
jeunes s’infligent si aisément à eux-mêmes : retour à Rome, explication avec sa mère, départ pour Pompéi où il apprendrait son métier. Quand il aurait réussi à gagner assez d’argent, il louerait une pièce avec un balcon.
— Vital, le balcon, pour un célibataire !
— Tonton Marcus, pourquoi es-tu aussi cynique ?
— Je fais partie des célibataires avec balcon !
Ils se marieraient, attendraient encore deux ans pour amasser des économies, puis feraient trois enfants à deux ans d’intervalle. Le reste de leurs jours se passerait à déplorer la vie décousue des autres. Soit ils se lasseraient l’un de l’autre, et Ollia lèverait le pied avec un fabricant de sandales, soit, connaissant Larius, tout se déroulerait exactement comme il venait de me le décrire.
— Helena Justina est au courant ? Elle en pense quoi ?
— Que c’est une bonne idée. Elle m’a passé ma première commande, précisa Larius d’un air rusé. Toi en train de dormir, la bouche grande ouverte. Elle voulait garder un souvenir de ses vacances.
Je ne fis aucun commentaire, car à ce moment précis, un marin cria : « Capri ! »
Au moment du départ, la mer était grise, vaguement menaçante sous le ciel maussade. La couverture nuageuse s’était peu à peu éclaircie, et nous fendions maintenant une eau d’un bleu intense que le soleil vif faisait étinceler.
Du port principal de l’île sortaient de petits bateaux de plaisance qui donnaient l’impression de naviguer au hasard, leurs voiles formant une ligne brisée de points rouge foncé. L’ Isis Africana, très facilement repérable, ne se trouvait pas parmi eux. Curtius Gordianus donna des instructions à Læsus pour s’approcher dangereusement (à mon avis) des rochers escarpés qui bordaient la côte. Nous explorâmes lentement des petites criques tranquilles, auxquelles on ne pouvait accéder que par la mer. Quelquefois, la bouche sombre d’une grotte s’ouvrait dans le rocher à pic. Enfin, dans une espèce de baie aux eaux transparentes où venait de se faufiler le Scorpion des Mers, nous découvrîmes l’ Isis Africana.
Aufidius Crispus et Pertinax Marcellus étaient en train de se baigner. Après tant d’événements tragiques, la scène me paraissait presque irréelle.
Læsus jeta l’ancre. Les nageurs nous observaient avec curiosité. Tout en dissimulant son visage, Gordianus interpella joyeusement Crispus, en parvenant à donner l’impression qu’il venait de rencontrer un ami par le plus grand des hasards. Crispus se mit à faire la planche, tout à la fois pour nous observer et pour réfléchir à cette curieuse coïncidence. Puis il suivit Pertinax qui s’était immédiatement éloigné à la nage en direction de l’ Isis. Comme ils ne paraissaient pas enclins à lever l’ancre à la hâte, j’embarquai dans un esquif avec le grand prêtre et Milo pour aller les rejoindre.
Quand nous montâmes à bord du navire, Crispus était en train d’essuyer son corps couvert de poils noirs. Pertinax avait disparu dans la cabine, sans doute pour se vêtir plus discrètement. Il espérait peut-être que nous n’étions que des visiteurs de passage. Une fois sec, Aufidius Crispus enfila une tunique rouge aux ganses métalliques complètement ternies par l’air marin. Il évacua l’eau de ses oreilles avec une vigueur dont je l’avais vu faire preuve en d’autres circonstances.
— Quelle surprise ! s’exclama-t-il, sa physionomie démentant ses paroles. (Il appela d’une voix forte :) Gnæus ! Viens par ici. Je veux te présenter de vieux amis !
N’ayant plus le choix, Atius Pertinax se présenta sur le pont. Il portait une tunique blanche et arborait son air renfermé habituel. Quand il reconnut Gordianus, ses yeux délavés devinrent méfiants. Forçant ses lèvres à sourire, il s’approcha en tendant la main.
Le souvenir de son frère avait paralysé Gordianus sur place. Il ne put se résoudre à le toucher. C’est alors que je m’avançai à mon tour.
— Je m’appelle Falco, déclamai-je au moment où notre proie faisait un mouvement de tête dégoûté. Je suis censé être mort, mais toi aussi. (Je me mis au garde-à-vous pour proclamer officiellement :) Gnæus Atius Pertinax Caprenius Marcellus, aussi connu sous le nom de Barnabas, au nom de Vespasien Auguste, tu es en état d’arrestation ! Tu vas être transféré à Rome où tu auras le droit d’être jugé par tes pairs du Sénat. Tu
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