À l'ombre des conspirateurs
flacons. Pour l’instant, le châtiment réservé à sa trahison semblait être une vie agréable à la campagne !
— Sénateur, mon nom est Didius Falco. (À en juger par sa réaction, mon nom ne lui disait rien. Je lui tendis mon laissez-passer.) J’ai laissé ton majordome à Crotone, ligoté à un lit.
Gordianus se débarrassa de ses robes. Il donnait toujours l’impression de rester maître de la situation, mais parut peiné par cette nouvelle.
— Quelqu’un va le trouver ?
— Ça dépend de la fréquence du ménage au mansio.
— Tu as eu le dessus sur Milo ? demanda-t-il, incrédule.
— Je l’ai assommé avec un objet très dur.
— Pourquoi ?
— Il m’avait pris pour un espion ! m’exclamai-je. Milo fait certainement honneur à son gymnase, mais il faudrait que son cerveau prenne aussi un peu d’exercice ! Messager du palais, c’est une tâche bien ingrate. J’ai d’abord été agressé sans raison par les héros homériques qui tiennent des éventaires au marché. Tous les chalands se sont précipités pour leur prêter main-forte. Après leur avoir échappé, voilà que je me fais assaillir par ton crétin de domestique… (J’avoue que je n’étais pas mécontent de ma tirade. J’avais besoin d’établir mon autorité. Patricien, Gordianus pouvait toujours compter sur le Sénat pour le soutenir. Moi, je travaillais pour Vespasien, et si je me mettais à dos un sénateur – même un traître –, l’empereur s’empresserait de me laisser tomber.) Milo m’a annoncé que tu refuserais de me recevoir. Avec tout le respect que je te dois, sénateur, cette attitude serait insultante pour l’empereur et ne te mènerait nulle part ! Tiens-tu vraiment à ce que je retourne à Rome sans rien avoir à rapporter à Vespasien – hormis que ses villes de la Grande Grèce ont besoin d’être reprises en main, et que le pontife du temple d’Héra est trop entêté pour entendre la destinée de son frère ?
— Quelle destinée ? (Curtius Gordianus me foudroyait du regard, l’expression de son visage témoignant de son mépris.) Mon frère est-il retenu en otage ? Viens-tu me menacer de la part de Vespasien ?
— Sénateur, ton frère et toi avez voulu vous mesurer à quelqu’un de beaucoup moins délicat que Vespasien.
Ayant enfin accaparé son attention, je lui racontai en détail l’incendie du temple d’Hercule.
Débarrassé de ses oripeaux religieux, il s’était laissé tomber sur une espèce de chaise longue. Son corps avait tendance à s’avachir. Quand je lui appris la mort de Curtius Longinus, il sursauta et reposa ses lourdes jambes sur le sol. Paralysé par l’émotion, il écouta le récit de l’abominable trépas de son frère. Il se tortillait nerveusement, faute de pouvoir exprimer sa douleur en présence d’un étranger.
Faisant appel à ma bonne éducation, je sortis le plus discrètement possible. J’en profitai pour aller quérir l’urne de porphyre. Je restai dehors quelques instants à caresser distraitement ma mule, laissant mon regard se perdre au loin sur la mer. Je n’étais nullement concerné par ce deuil, mais le simple fait d’avoir été le porteur de cette mauvaise nouvelle m’avait vidé de toute énergie. Je fis appel à tout mon courage pour défaire les ficelles et jeter un coup d’œil à l’intérieur de l’urne. Je refermai le couvercle en toute hâte. Les cendres d’un être humain prenaient vraiment très peu de place.
En me voyant revenir, et bien qu’il lui en coûtât visiblement, Gordianus se mit debout. Je débarrassai une petite table pour y déposer respectueusement l’urne funéraire. Une bouffée de colère lui empourpra le visage, mais il se reprit rapidement. Il parvenait même à dissimuler son chagrin.
— Quelle a été la réponse de Vespasien ?
— Pardon ?
J’étais en train de déposer sur une étagère les encriers et les coupes de pistaches enlevés de la table.
— Mon frère a été appelé à Rome et…
— L’empereur n’a pas eu l’occasion de lui parler, l’interrompis-je. Vespasien a organisé des funérailles honorables pour ton frère, et il a commandé cette urne qu’il a payée lui-même.
Le grand prêtre d’Héra saisit une clochette de bronze qu’il agita avec la plus grande violence.
— Retire-toi immédiatement de ma vue !
Pour être franc, je n’avais pas pensé un seul instant qu’il m’inviterait à déjeuner. Ses domestiques se
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