À l'ombre des conspirateurs
quelques tombes en marbre eurent à souffrir de notre passage. Notre bœuf, que nous appelions Néron, fit soudain mine d’être malade. En temps ordinaire, il était d’un naturel charmant, mais il avait dû penser que tirer une telle charge sortait du cadre des obligations habituelles d’un animal en vacances.
Ventriculus se mit immédiatement au travail. Je lui avais demandé de transformer les lingots en tuyaux de plomb. Il fallait commencer par les faire fondre, puis les étirer en bandes étroites d’une dizaine de pieds de long. Une fois refroidie, il restait à enrouler cette feuille de plomb autour d’une baguette de bois, jusqu’à ce que les deux bords se rejoignent, puis à la souder avec du plomb en fusion. (C’est d’ailleurs cette soudure qui donne aux tuyaux leur section en forme de poire.) Ventriculus aurait aimé produire des tubes de dimensions variées, mais je lui demandai de se cantonner aux quinari æ , ceux qui sont couramment utilisés dans les foyers. Les conduites d’eau sont des objets encombrants, un quinaria de dix pieds ne pesant pas moins de soixante livres romaines. Je dus mettre Larius plusieurs fois en garde : s’il s’en laissait tomber un sur le pied, il comprendrait très vite de quoi je voulais parler.
Après avoir transféré tous les lingots dans l’atelier, et que le plombier eut produit un premier lot de tuyaux, le char reprit la route d’Oplontis. Ventriculus m’offrit un sac de robinets ordinaires et à arrêt en bronze – ce qui donne une petite idée du profit qu’il allait tirer de notre marché.
Mon plan consistait à effectuer de petites ventes sur place, tout en décrochant de grosses commandes que Ventriculus honorerait plus tard. Pour le moment, je voulais emporter un maximum de marchandises à Oplontis, ce qui signifiait un seul conducteur et pas de passagers. Petronius se chargerait de conduire le char : il était de taille à se défendre seul, et avait des relations privilégiées avec Néron. En outre, je devinais qu’il tenait à rentrer au plus vite pour amadouer sa femme. Quand je le vis partir, je ne fus pas loin de me prendre pour un bienfaiteur du genre humain.
Cette bonne action accomplie, j’invitai le plombier et Larius à m’accompagner aux thermes publics afin de nous y revigorer un peu. Puis j’entraînai mon neveu jusqu’au port, car je tenais à m’entretenir avec le capitaine du Circé. Je lui montrai le carnet récupéré à Crotone, en lui faisant part de ma théorie que cette liste de noms suivis de dates faisait référence à des départs de bateaux.
— Possible, Falco. Tout ce que je sais, c’est que Parthénope et Vénus de Paphos sont deux navires basés à Ostie, qui transportent du grain…
Pendant que nous discutions, Larius en profita évidemment pour disparaître.
Parti à sa recherche, je repérai des graffiti, le trait précis représentant deux gladiateurs : sans doute l’endroit où il s’était amusé en dernier. Je ne pus qu’admirer la précision des contours. Ce jeune gredin savait dessiner, il n’y avait pas à dire, mais le surveiller s’apparentait à apprivoiser un caméléon pour le transformer en animal familier. Les bateaux paraissant exercer sur lui une véritable fascination, je commençai à me dire avec inquiétude qu’il avait dû monter à bord de l’un d’eux comme passager clandestin…
Tout d’un coup, il apparut dans mon champ de vision. Il cancanait avec le vieillard parcheminé que j’avais surpris à nous espionner plus tôt dans la journée.
— Larius ! hurlai-je. Espèce d’écervelé, tu peux me dire d’où tu sors ? Je te défends de t’éloigner, c’est compris ? J’en ai assez de passer mon temps à te chercher. Déjà que je dois surveiller mes arrières pour me protéger d’un assassin !
Après un bref signe de tête au débardeur fouinard, j’entraînai mon neveu en le tenant par une oreille. Pensant soudain à Barnabas, je sentis une nouvelle sueur froide mouiller ma tunique. Après avoir balayé une dernière fois le port des yeux, comme si j’avais peur que l’affranchi soit en train de nous observer, je fonçai sans un mot en direction du trou à rats que nous appelions provisoirement « chez nous ».
Oplontis se trouve sur la route d’Herculanum. Pas très loin, mais encore trop pour quelqu’un qui avait charrié du plomb toute la journée. Pompéi étant bâtie sur un terrain surélevé (la catastrophe ultérieure me
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