À l'ombre des conspirateurs
à nous faire des têtes de meurtriers. De plus, nous étions en train d’avaler des pilchards enveloppés de feuilles de vigne, ce que personne ne se permettait de faire dans la rue à Herculanum.
Nous redescendîmes la colline en direction du port. Nous croisions des rues à droite et à gauche, Herculanum étant bâtie sur le modèle pédantesque d’un gril grec. De lui-même, Néron nous fit traverser un quartier pittoresque. Un fabricant de paniers rêvait sur son tabouret ; une vieille femme sortie chercher une laitue discourait sur les maux de la société moderne avec une autre vieille qui venait d’acheter une miche de pain. Brusquement, comme toujours, il se produisit un désastre.
Néron obliqua à droite. Un âne était attaché devant un bâtiment : un jeune mâle vigoureux, aux oreilles fines et à la croupe ferme. Néron venait de repérer la grande passion de sa vie.
En tournant, il accrocha la carriole dans le portique d’un marchand de gâteaux. Néron se détacha de ses liens, la vibration de son beuglement triomphant faisant choir quatre rangées de tuiles. Des éclats de poteries volèrent dans tous les sens sous ses sabots, quand il traversa un éventaire avec toute la délicatesse d’un bœuf qui vient de recouvrer la liberté, salivant d’avance à la pensée d’embrocher le premier qui oserait se mettre en travers de son chemin. Les parties de son anatomie censément désactivées se balançaient lourdement, avec toutes les périlleuses implications pour l’âne.
Des femmes se précipitaient sur les balcons. Dans la rue, de petits enfants s’étaient mis à hurler de terreur. Fascinés par le tableau, ils se turent. Attrapant la corde que nous gardions pour l’entortiller autour des cornes de Néron, je me lançai à sa poursuite. Je le rattrapai juste au moment où il se dressait sur ses pattes de derrière pour retomber sur son nouvel ami. Le brave bourricot se mit à braire au viol. Un apprenti marmiton mal inspiré attrapa Néron par la queue. L’instant d’après, je me retrouvai aplati contre le mur par les mille livres d’un bœuf copulant qui venait de pivoter furieusement.
Le mur, fait de débris maintenus en place par un cadre d’osier, céda suffisamment pour m’éviter des fractures. Je rebondis dans un nuage de stuc et de poussière. Larius hurlait des conseils inutiles. Je mourais d’envie d’aller me cacher, mais comment oublier qu’un cinquième de ce bovin obsédé sexuel appartenait à mon ami Petronius Longus ?
Les gens présents secouraient l’âne avec tout ce qui leur tombait sur la main, mais les coups pleuvaient surtout sur Larius et moi. Faisant preuve d’une belle force de caractère, l’âne ruait des pattes arrière, mais une fois sous le bœuf, il ne put que rassembler son courage.
Au moment précis où Néron allait connaître la gloire, la chance se mit de notre côté. Les pattes arrière de l’âne cédèrent, et les deux bêtes s’effondrèrent sur le sol. L’âne se releva le premier, une expression sauvage au fond des yeux. J’attachai rapidement la corde autour d’une patte de Néron, tandis que Larius s’asseyait sans hésiter sur sa tête. Notre turbulent bovin s’agita violemment, avant de se calmer d’un coup.
Nous aurions dû devenir les héros du jour. Bien sûr, je m’attendais à des demandes de dédommagements pour les éventaires saccagés ; et pourquoi pas à une plainte pour atteinte à des lois d’Auguste peu connues sur les mariages – interdisant, par exemple, à un animal de trait de commettre l’adultère avec un âne… Ce qui advint fut tout autre. Le vigile du Decumanus Maximus nous avait entendus hurler un nom d’empereur à notre bœuf. Nous eûmes beau tout faire pour le convaincre qu’il avait mal entendu, que nous avions appelé le stupide animal « Ducon », et non pas « Néron », il n’en voulut pas démordre.
Il finit par nous arrêter. Pour blasphème.
43
La prison destinée aux vagabonds était une ancienne boutique jouxtant un temple.
— C’est un modèle original, celle-là ! m’écriai-je.
Mon neveu avait retrouvé son air maussade.
— Tonton ? Comment tu vas annoncer à maman que j’ai été en prison ?
— Avec beaucoup de difficulté, c’est sûr.
Le geôlier, un aimable vieux, partagea son déjeuner peu appétissant avec nous. Il s’appelait Roscius, portait une barbe grise et des favoris. La situation lui semblait si banale que nous en
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