À l'ombre des conspirateurs
déduisîmes qu’Herculanum faisait partie de ces villes de bas étage qui n’hésitent pas à mettre d’innocents visiteurs sous les verrous. Il disposait d’une cellule pour les étrangers, mais Larius et moi avions l’honneur d’être simplement enchaînés à un banc, ce qui nous permettait au moins de discuter.
— Tu connais un sénateur qui s’appelle Crispus ? demandai-je, surtout pour impressionner Larius en lui démontrant qu’un incident aussi trivial ne m’empêchait pas de garder le cap.
— Non, Falco. (Le geôlier était de ces gens qui parlent d’abord et réfléchissent ensuite.) Tu veux pas parler d’Aufidius Crispus ? Çui qu’avait une maison à Herculanum et qui l’a vendue pour acheter un bateau ?
— Si. Tu l’as vu, récemment ?
— Non, Falco.
Après avoir réfléchi de nouveau, il opta pour la prudence. Voyant que la méthode se révélait improductive, Larius m’encouragea à lui montrer mon laissez-passer.
— Aha ! dit Roscius en le lisant.
Visiblement il n’en comprenait pas la portée, mais je crois qu’il subodorait qu’il y avait quelque chose à comprendre. Larius ferma les yeux et respira à fond pour se calmer.
— Roscius, mon ami, repris-je en lui fourrant de nouveau le laissez-passer entre les mains. Pourrais-tu faire passer ça à un magistrat ? Et s’il s’appelle Æmilius Rufus, ce serait parfait.
Le repas du geôlier était constitué de viande froide, recroquevillée sur les bords en prenant une teinte verdâtre. D’ici deux ou trois heures, l’estomac vide de mon neveu affamé le rendrait hargneux.
Roscius accepta d’envoyer le laissez-passer à l’ami d’Helena. Buvant son vin pour tuer le temps, nous nous enivrâmes légèrement.
Vers la fin de l’après-midi, deux esclaves se présentèrent à la prison. L’un de nous devait rester enfermé, et l’autre les accompagner. J’expliquai diplomatiquement à Larius qu’il devait servir d’otage, Rufus étant l’ami d’une de mes amies.
— Alors tu as intérêt à te dépêcher ! aboya le petit trésor de Galla. Je pourrais avaler un bœuf !
La résidence d’Æmilius Rufus était une construction d’apparence modeste. L’intérieur était encombré de meubles lourds, et les murs avaient été décorés de scènes de batailles. On hésitait à s’asseoir, de peur de déranger l’alignement parfait des pattes des sièges. Il y manquait la présence d’enfants et d’animaux familiers, le murmure d’une fontaine, ou l’agrément de plantes. Si jamais un gecko se baladait sur les plafonds de vernis sombre, il le faisait discrètement.
Son Honneur se tenait sur la terrasse – heureusement un peu en désordre, comme toutes ses pareilles. Ses occupants conversaient affablement, mais quand je les rejoignis au soleil, ils en profitèrent pour se taire. Après une longue journée au tribunal, Rufus s’était étendu de tout son long pour se détendre. Il tenait un grand gobelet posé sur sa poitrine. Plutôt bon signe.
Il y avait avec lui une patricienne très mince, probablement sa sœur, et une autre jeune femme. Elles étaient assises à une table d’osier, et se servaient copieusement de l’inévitable assiette de pâtisseries. J’eus le privilège de couper l’appétit à la visiteuse : Helena Justina.
Inévitable. Faites des adieux définitifs à une dame, et vous la rencontrerez ensuite partout où vous allez. Ma dame à moi prenait le soleil sur cette terrasse, léchant la poudre d’amandes collée à ses doigts. Je remarquai une traînée de miel sur son menton, que j’aurais été heureux de lécher moi-même.
Elle portait une robe blanche, et c’est ainsi que je la préférais. Son silence me plaisait beaucoup moins, tout comme le fait qu’elle m’ignora complètement.
Tribun, édile, prêtre honoraire, et bientôt préteur, l’illustre Sextus Æmilius Rufus Clemens, fils de Sextus, petit-fils de Gaius, de la tribu des Falerna, avait le droit de vote. Il me recevait étendu sur sa couche. Je me raidis inconsciemment. Cet homme constituait une excellente copie de l’Apollon de Praxitèle. Si on l’avait planté nu sur un piédestal, en lui disant d’adopter une expression pensive, il n’aurait pas tardé à trouver acquéreur. Visage classique sécrétant l’intelligence, grande vigueur, union rare d’un teint clair avec des yeux d’un marron très foncé… L’ami d’Helena Justina me semblait tellement beau que j’avais envie de
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