Abdallah le cruel
forteresse, où s’installa le
nouveau gouverneur, Saïd Ibn al-Abbassal Kuraishi, dont la poigne de fer se fit
sentir sur ses administrés.
Cet acte de clémence ne fut pas du
goût de Hashim Ibn Abd al-Aziz qui voyait en Ibn Marwan un rival potentiel. Il
chercha à se venger en fomentant une fronde chez les foqahas dont il avait su,
par ses largesses, se gagner l’appui. Ceux-ci s’étaient réjouis de l’accession
au pouvoir de Mohammad en lieu et place de son débauché de frère, Abdallah.
S’il était pieux – il connaissait par cœur les versets du Coran –,
l’émir se méfiait cependant de ces dignitaires religieux qu’il jugeait stupides
et bornés. Disciples de Malik Ibn Anas et de son école juridique, ils se
contentaient de répéter mécaniquement l’enseignement de leur maître à penser et
prônaient le taklid, une imitation servile de ses avis, en dépit des
nombreux changements intervenus dans la vie quotidienne des Musulmans. Ils se
méfiaient des idées nouvelles venues d’Orient, en particulier la doctrine
shafi’ite, qui préconisait le recours aux procédés de déduction des règles
juridiques par l’étude du Coran, de la Sunna et des hadiths [38] . Successeur d’Abd al-Malik Ibn Habib, mort en 238 [39] , célèbre pour avoir
rédigé la Wadiha , un commentaire du Muivatta de Malik Ibn Anas,
Mohammad al-Utbi traquait impitoyablement les jeunes lettrés qu’il soupçonnait
de propager des doctrines hérétiques. C’est ainsi qu’il s’efforça de faire
traduire en justice Karim Ibn Mohammad Ibn Siyar, que l’émir avait envoyé
étudier en Orient. De retour à Kurtuba, le malheureux se vit étroitement
surveillé par le collège des foqahas qui envoyaient des espions écouter les
cours qu’il dispensait et relever les dangereuses innovations qu’il propageait.
Craignant pour sa vie, le jeune homme demanda audience au souverain et celui-ci,
qui appréciait son intelligence, le reçut :
— Noble seigneur, dit Karim Ibn
Mohammad Ibn Siyar, grâce à ta générosité, j’ai pu me rendre à Médine, à La
Mecque et à Bagdad pour me perfectionner dans la connaissance de notre sainte
religion. J’ai étudié auprès de maîtres prestigieux dont les écrits sont lus
avec passion par les érudits et je ne saurais trop t’en remercier.
Malheureusement pour moi, cela n’est pas du goût de nos foqahas qui s’apprêtent
à me faire arrêter sous l’accusation de blasphème. Voilà pourquoi je sollicite
humblement ta protection. Toi seul peux me sortir de leurs griffes.
— Tu as affaire à des médiocres
et à des envieux. Mohammad al-Utbi est un ignare et ce n’est pas le plus grave.
Je sais de source sûre qu’il accepte de grosses sommes d’argent de la part des
plaignants qui font appel à lui. Je ne puis le destituer, car le petit peuple,
dans sa crédulité, boit littéralement ses paroles.
— C’est bien pour cette raison
que je crains ses manigances. Ses partisans m’ont fait comprendre qu’il serait
plus sage pour moi de quitter la ville.
— Il est vrai que tu as le
grand tort de déplaire à mon favori, Hashim Ibn Abd al-Aziz. Tu n’es pas de
ceux qui quémandent ses faveurs et le couvrent de louanges. Note bien qu’il a
toute ma confiance car c’est un excellent soldat et j’ai pu éprouver en
différentes occasions son dévouement et sa loyauté. Toutefois, je ne suis pas
dupe de ses intrigues et, par les propos qu’il m’a tenus sur toi, je suis
convaincu qu’il est à l’origine de tes ennuis. J’ai un bon moyen de l’empêcher
de te nuire.
— Lequel ?
— J’ai décidé de faire de toi
mon notaire personnel. C’est une tâche ingrate, mais elle n’est pas
fastidieuse. Tu séjourneras au palais et tes fonctions te mettront à l’abri des
poursuites. J’y mets toutefois une condition.
— Laquelle ?
— Je suis las d’écouter les
prêches fades et mornes de Mohammad al-Utbi et de ses semblables. Ils ne
calment pas ma soif de savoir et n’apportent aucune réponse aux questions que
je me pose. On m’a beaucoup parlé de tes disciples et je souhaite que tu fasses
venir auprès de toi les plus méritants pour te seconder. Avec eux, tu
constitueras un petit cercle d’études aux séances duquel je me ferai un plaisir
d’assister.
— Il en sera fait selon tes
ordres, noble seigneur.
Parmi ceux que Karim Ibn Mohammad
Ibn Siyar recruta, figurait un jeune savant, Baki Ibn Makhlad, qui avait
rencontré Ahmad Ibn
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