Abdallah le cruel
réputé pour
sa cruauté. La manière dont il avait traité les villes rebelles qui, après la
défaite d’Omar Ibn Hafsun à Baliy, avaient fait leur soumission montrait que la
clémence n’était pas sa qualité première. Il ne s’était pas contenté d’ordonner
l’exécution des rebelles connus et la confiscation de leurs biens au profit du
Trésor. Il avait aussi fait arrêter plusieurs centaines de personnes, victimes
de dénonciations ou simplement soupçonnées de sympathies pour les dissidents et
leur avait infligé de très lourdes amendes. Pour Khalid Ibn Khaldun, mieux
valait ne pas le mécontenter. Satisfait de voir la division régner chez ses
rivaux, Ibrahim Ibn Hadjdjadj se réfugia dans un attentisme prudent, ce qui ne
l’empêcha pas de prévenir l’émir des intrigues ourdies par son fils Mutarrif et
les Banu Khaldun.
Ishbiliyah ouvrit donc ses portes à
l’armée. Abd al-Malik Ibn Abdallah Ibn Umaiya laissa à Mutarrif le soin de
s’entretenir avec les notables. Il n’avait guère envie de perdre son temps avec
ces fieffés hypocrites. Il inspecta les entrepôts et marchanda âprement avec
des négociants aux prétentions exorbitantes l’achat de centaines de chevaux et
de bêtes de somme. Il passa aussi des heures à écouter les rapports des espions
envoyés dans les régions qu’il entendait soumettre. Ce qu’il apprit ne le
rassura guère. Certes, ses forces étaient largement supérieures à celles dont
disposait l’ennemi et elles lui auraient amplement suffi s’il n’avait eu qu’un
adversaire à affronter. Mais il devrait combattre simultanément plusieurs chefs
rebelles et donc diviser ses troupes. Autant faisait-il confiance à ses
officiers, qui servaient sous ses ordres depuis des années, autant se
méfiait-il des imprudences que ne manquerait pas de commettre Mutarrif.
Lors de leurs rares entretiens en
tête à tête, le prince ne lui avait pas caché son désir de gloire et le général
avait été effaré par la médiocrité de son jugement. Indéniablement, Mutarrif
était un brave. Il savait se battre et n’était pas homme à reculer face à
l’ennemi. Ce courage était surtout de la témérité car le prince était dépourvu
de discernement et d’intelligence. Son adversaire n’avait qu’à lui tendre un
piège grossier, il s’y précipiterait immédiatement sans réfléchir aux
conséquences de ses décisions. Abd al-Malik Ibn Abdallah Ibn Umaiya jugea donc
préférable de l’envoyer attaquer une forteresse tenue par un chef berbère,
Awsat Ibn Tarik, qui contrôlait la route entre Ishbiliyah et Kadis [88] .
Le rebelle, il le savait, disposait d’eau et de vivres en quantité suffisante
pour lui permettre de soutenir un siège pendant plusieurs semaines. Mutarrif
serait ainsi bloqué et le général pourrait mener sa campagne comme il
l’entendrait, quitte à la terminer en venant prêter assistance au fils du
monarque. Restait à le convaincre d’accepter cette tâche. Le conseiller de
l’émir avait soigneusement mûri son plan. Il prit soin de convoquer tout son
état-major pour discuter du déroulement des opérations dont il traça de manière
magistrale les grandes lignes. Il conclut ainsi son exposé :
— Si tout se passe comme prévu,
nous pourrons, avant les pluies de l’automne, attaquer notre plus redoutable
ennemi, Awsat Ibn Tarik. Je le connais bien car, avant de trahir l’émir, il a
participé à plusieurs saifas à mes côtés. Il n’avait pas son pareil pour
infliger défaite sur défaite aux Chrétiens et je déplore vivement le malentendu
qui a provoqué sa désertion.
— De quoi parles-tu ?
s’enquit Mutarrif.
— Sa valeur était telle qu’il
pouvait prétendre être nommé wali. J’avais d’ailleurs suggéré à ton père de le
désigner comme gouverneur de Tulaitula. C’était quasiment chose faite et
j’avais pris sur moi d’annoncer la bonne nouvelle à l’intéressé.
Malheureusement, certains dignitaires arabes de la cour, imbus de préjugés
stupides, ont fait valoir que cette charge ne pouvait lui être confiée.
Tulaitula est la deuxième ville d’al-Andalous et l’administrer est un privilège
réservé, disaient-ils, aux seuls descendants des Bédouins. C’était la thèse
soutenue par le hadjib Abd al-Rahman Ibn Umaiya Ibn Shuhaid qui méprise les
Berbères. Il a eu gain de cause et Awsat Ibn Tarik a été profondément humilié
par ce revirement de dernière minute. Il s’est réfugié
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