Abdallah le cruel
qu’un homme et j’ai cédé à mes
penchants. » Ton père avait alors fait preuve de mansuétude à mon égard en
me disant : « Va doucement, ne te hâte point ! Tu as fait
d’abord ton service et tu t’es repenti ensuite. Le péché n’a pu se glisser
entre les deux. Je te pardonne. » Il avait voulu me donner de la sorte une
leçon et je lui suis reconnaissant de m’avoir conservé sa faveur. Après tout,
il ne semble pas te tenir rigueur, à toi aussi, de ce travers. Nous sommes des
soldats, nous menons une existence plutôt rude et nous avons bien droit à
certaines consolations. Abdallah est un prince généreux envers ceux qui le
servent loyalement.
— Tu l’as dit, grinça Mutarrif,
tout est affaire de loyauté.
— Qu’entends-tu par là ?
— Tu as trop longtemps abusé de
la confiance de mon père et tu aurais pu continuer à le faire si je n’avais pas
découvert tes manœuvres et tes intrigues.
Abd al-Malik Ibn Abdallah Ibn Umaiya
se leva, fou de rage. Des gardes, placés derrière lui et qu’il n’avait pas
remarqués, l’obligèrent à se rasseoir. Mutarrif se servit une coupe de vin, la
but et prit l’assistance à témoin :
— Regardez cet homme qui,
jusqu’à maintenant, inspirait à tous la terreur. Vous n’avez plus rien à
craindre de lui. C’est un traître de la pire espèce qui a trompé notre
souverain bien-aimé. Fort heureusement, Awsat Ibn Tarik m’a révélé la noirceur
de son âme et de ses agissements et il va nous dire ce qu’il sait.
Le chef berbère se leva et déclara
d’une voix ferme et assurée :
— Je suis prêt à jurer sur le
saint Coran que ce que je vais dire est la pure vérité. Si tel n’était pas le
cas, qu’Allah le Tout-Puissant et le Miséricordieux m’inflige la punition que
je mérite en faisant périr les miens. Vous le savez tous, j’ai servi sous les
ordres d’Abd al-Malik et je n’ai pas ménagé ma peine. Mon corps est couvert de
cicatrices qui attestent de mon courage. Il m’a fait de nombreuses promesses et
je l’ai cru jusqu’à ce que je découvre qu’il m’avait trompé. Je suis reparti chez
les miens et j’ai décidé de me venger en me rebellant contre l’émir que je
tenais pour responsable de mes malheurs. Je ne pensais plus avoir affaire à ce
traître, dit-il en montrant le général, quand ce dernier m’a envoyé plusieurs
messagers pour m’informer que le prince Mutarrif s’apprêtait à m’attaquer. Il
m’a conseillé de prendre mes précautions et m’a dicté la conduite à tenir. Je
n’ai eu qu’à me féliciter de ses suggestions. Mutarrif s’est retrouvé encerclé
et j’ai infligé de très lourdes pertes à ses troupes. Il ne pouvait espérer
recevoir du ravitaillement car des informateurs me prévenaient de leur
itinéraire et il m’était alors loisible de préparer soigneusement les
embuscades dans lesquelles ils sont tombés.
— Mensonge que tout cela !
tonna Abd al-Malik Ibn Abdallah Ibn Umaiya.
— Mes officiers sont aussi
prêts à jurer sur le saint Coran que c’est la stricte vérité. Tu as commis
toutefois une faute, celle de m’envoyer un messager porteur d’une proposition
abominable. Sachant que j’allais attaquer le camp de Mutarrif, tu m’as offert
plusieurs milliers de pièces d’argent afin que je fasse exécuter le prince
plutôt que d’exiger une rançon pour sa libération. Tu m’as expliqué qu’ensuite
tu prendrais avec ton armée la route de Kurtuba et que tu te faisais fort de
déposer l’émir, affaibli par la perte du seul de ses fils capable de porter les
armes. Ma fortune serait alors faite et tu aurais garde de m’oublier une fois
monté sur le trône. C’est mal me connaître que m’avoir proposé pareille
infamie. J’ai beaucoup de défauts. Je suis un rebelle et un bandit de grand
chemin. J’ai attaqué et détroussé négociants et voyageurs. Je n’en éprouve pas
le moindre regret. J’aurais pu continuer à le faire jusqu’à la fin de mes
jours. Je suis un voleur mais je ne suis pas un criminel. J’ai naguère prêté
serment d’allégeance à Abdallah et, bien qu’il se soit mal comporté à mon
égard, je le considère toujours comme le maître légitime d’al-Andalous. Je
préfère mille fois l’avoir comme souverain plutôt que toi, Abd al-Malik, le
plus déloyal et le plus perfide de ses esclaves. C’est quand tu m’as proposé de
tuer Mutarrif que j’ai décidé de faire ma soumission alors que
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