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Adieu Cayenne

Adieu Cayenne

Titel: Adieu Cayenne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Londres
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là-haut ! Et
nous restons dessus ! Et la troisième nuit vient, amenant le
montant.
    – À la pagaie ! crie Acoupa.
    Le vent est fort, la vague méchante.
    Nous longeons les palétuviers. Ces
palétuviers ! de la fièvre en branches ! La pirogue
avance si vite que nous ne voyons pas fuir les arbres à notre
droite.
    – Hardi ! Acoupa, crions-nous. Tout d’un
coup, après avoir touché plusieurs fois le fond, la pirogue
bute.
    Nos huit efforts donnés à plein ne la font
plus bouger d’un pouce. Nous sommes sur un banc de vase surélevé.
Peut-être croyez-vous que la vase est plate comme une plaine. Elle
forme des escaliers qu’on croirait taillés de main d’homme. Nous
étions au sommet de l’un de ces escaliers !
    Et la mer de nouveau se retire. Et c’est la
vase, rien que la vase. Nous nous dressons dans la pirogue :
au lointain, la vase ! Le matin arrive : la
vase !
    – Enfin, est-ce qu’on va mourir là
dedans ? demandons-nous à Acoupa.
    Il nous répond qu’on y peut rester pendant une
dizaine de jours, jusqu’aux grandes marées !
    Alors, je racontai à mes compagnons l’histoire
des mineurs de Courrières. Et j’ajoutai : « Cela dura
dix-sept jours pour eux et ils furent sauvés ! »
    Acoupa dit :
    – Il n’y a qu’un seul moyen d’en sortir. À
deux cents mètres de nous, je vois de l’eau. Donc, le fond est plus
bas. Si nous y amenons la pirogue, nous avons des chances de
flotter à la marée du soir. Flottant, nous sommes sauvés.
Voulez-vous descendre dans la vase et haler la pirogue ?
    Nous arrachons nos vêtements.
    – Attendez ! fait Acoupa. Écoutez bien la
leçon. Vous vous enfoncerez dans la vase, les jambes écartées et le
corps penché en avant ; autrement, elle vous avalera. Vous
vous agripperez au bordage et, pour marcher, vous retirerez les
jambes lentement l’une après l’autre.
    Nous entrons dans la vase. Elle nous aspire
jusqu’au ventre. C’est un frisson cela, vous savez ! Mais nous
n’enfonçons plus. Nos quatorze bras sont bandés autour du bordage.
Menœil crie : « Ho ! hisse !
garçons ! », comme lorsqu’il était à Charvein, au halage.
Nous tirons de toutes nos forces. La pirogue démarre. Elle avance
maintenant de vingt centimètres à chaque effort. « Ho !
hisse ! garçons ! » Le succès nous grise. Nous
crions tous : « Ho ! hisse ! ensemble ! N…
de D… ! Hôôô ! hisse ! Hôôô ! hisse !
Hardi pour le Brésil ! Hôôô ! hisse ! garçons,
Hôôô ! hisse ! »
    Le soleil nous assomme. Nous n’avons pas des
cœurs de demoiselles, mais la vase nous écœure. Toutes les deux
minutes, nous devons nous reposer sur le bordage tellement nous
sommes éreintés. À chaque poussée, nous enfonçons jusqu’au
poitrail. Il est plus pénible de sortir notre corps de la vase que
de tirer la pirogue.
    Deux heures de lutte, et nous remportons la
victoire. Nous sommes sur la flaque d’eau. Je n’avais jamais vu
sept hommes plus dégoûtants !
    Plus de vivres. Plus rien à boire.
    Acoupa tire trois coups de fusil. Cinquante
petits oiseaux de vase dégringolent. Acoupa va les chercher. On les
fait cuire.
    De nouveau, le soir ramène la mer. Nous sommes
chacun à notre place, la pagaie prête. L’heure est décisive. La mer
avance, avance. Elle entoure déjà la pirogue. Montera-t-elle assez
pour nous soulever ? Comme nous la regardons ! La pirogue
oscille, décolle, lève le bec. En avant les pagaies. Nous raclons
le fond de la vase. L’arrière ne démarre pas. Hardi, les
pagaies ! C’est notre dernier espoir ! Nous raclons
farouchement. C’est la nuit noire. Alors, au milieu du silence, un
chant s’élève, accompagnant chaque plongée de pagaie. Un chant de
la Bretagne, où l’on parle du Bon Dieu et de la Sainte Vierge, du
pays, de là-bas ! C’est Jean-Marie.
    – Elle flotte, les enfants, hardi !
criai-je.
    Elle flotte ! Elle avance vers la haute
mer, butant parfois sur le fond, mais à intervalles espacés.
Jean-Marie chante toujours. Nous chantons tous. La pirogue ne bute
plus. Elle bondit. Elle s’éloigne des palétuviers. « Tu
reverras, ta mère, Deverrer » crie le vieux Menœil. Il
ajoute : « Et moi, mon épouse ! »
    – Au Brésil ! clamons-nous tous. Au
Brésil !
    Soudain, nous entendons le bruit formidable de
la barre qui écume devant nous.
    Tout le monde se tait.
    Menœil et Jean-Marie hissent la voile. La
vague est grosse. Elle passe parfois au-dessus de

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