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Adieu Cayenne

Adieu Cayenne

Titel: Adieu Cayenne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Londres
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n’ont pas la chance avec eux. Mais, dans l’histoire, cela n’est
rien ; ce n’est pas plus que l’accompagnement monotone d’une
guitare pour une chanson !

L’AMAZONE
     
    Je passe donc, hein ? Et voici l’Amazone.
Alors, là, je dois vous dire mon opinion. C’est tout de même
rudement beau à voir ! Ni l’Autre, ni Jean-Marie ni moi,
pauvres bougres, n’avions jamais pensé voyager un jour, tout comme
des explorateurs, sur le fleuve le plus mystérieux du monde. C’est
ce que le sort nous réservait, pourtant !
    – C’est trop joli, cela ne doit pas être pour
nous, disait Jean-Marie.
    On longe une rive. Nous ne voyons pas l’autre,
il s’en faut. C’est le matin. L’eau est vert tendre. Des feuilles,
des branches, des arbres entiers accompagnent le courant. Voici
déjà des maisons. Plus loin, une scierie mécanique. Puis un phare.
Deux phares. Nous arrivons chez les hommes.
    Il y avait soixante-huit jours que nous nous
étions évadés. Alors, voir des fumées sortir des toits, voir un
tramway ! Le tramway surtout nous bouleversa. On riait. Et il
marchait, vous savez, le tramway ! Il marchait vite ;
c’était épatant !
    – Eh ! l’Autre, lève-toi,
regarde !
    – C’est Paris ? demande-t-il.
    – Des toits, des hommes, un tramway, des
bicyclettes !
    Il fait « Ah ! » et repose sa
tête sur son sac puant le poisson séché.
    – Courage ! il va falloir te tenir sur
tes pieds. Essaye !
    Nous préparons nos besaces et la sienne.
    Un havre aux rives boisées. Le canoë l’aborde.
Un appontement de bois.
    Nous sommes à Vigia !
    Un vieux douanier nous crie :
    – Hep ! Hep !
    Il parle français et nous demande de le
suivre. Est-ce que nous avons l’air de posséder des biens ? On
se regarde.
    Les habitants s’arrêtent et nous contemplent
avec beaucoup de curiosité.
    Nous entrons à la douane. Il sait qui nous
sommes, pardi !
    – Vous allez à Belém ? demande-t-il.
    – Oui, et c’est tout ce que nous avons à
déclarer.
    – Eh bien ! allez-y ! fait le vieux
bonhomme.
    Il nous reste quatre milreis et cinq grammes
d’or en tout, pour tout et pour trois. La première station de
chemin de fer est à Santa-Izabel, à soixante kilomètres. Une fois
par semaine seulement une auto relie les deux villes. Coût :
dix milreis chaque place. Nous courons tout Vigia à la recherche
d’un emploi. Nous entrons dans une scierie. On ne veut pas de nous.
C’est l’Autre qui doit nous faire du tort, tellement il a l’air de
vouloir mourir. Nous le couchons dans une impasse. Nous repartons.
Pas de travail au port ; ce n’est d’ailleurs qu’un
appontement. Un tailleur chinois ne veut pas de nous ;
pourtant, nous savons coudre. On s’informe s’il y a des meules pour
le manioc ; nous pourrions nous embaucher comme mulets. Pas de
meules !
    Le soir tombe. Rien à espérer ici. Nous avons
encore trop l’air bagnard. Une seule solution : abattre les
soixante kilomètres à pied.
    On retrouve l’Autre dans le fond de son
impasse. Il nous suit. Nous prenons la route de l’autocar. Neuf
heures du soir. La route coupe la forêt ; nous trébuchons dans
les ornières. Il pleut. Aucun abri. Marchons.
    – Peux-tu suivre, toi, l’Autre ?
    Il marche un peu en arrière, mais il
marche.
    La nuit est sans lune. J’entends les dents de
Jean-Marie qui claquent : un accès de fièvre. Depuis
longtemps, on n’avait plus de quoi acheter un pain ; on se
passait aussi de quinine ! Nos pieds sont déchirés par les
cailloux. Le sable, la terre, l’eau, nos chaussures, tout cela ne
fait qu’un seul poids à traîner. De plus, Jean-Marie a sa
malaria ; l’Autre, sa crève, et moi, ma jambe gauche…
    Nous buvons l’eau qui coule le long des
arbres. Jean-Marie ne peut pas. Il tremble tellement qu’il
casserait ses dents contre l’écorce.
    On marche en suivant le fil télégraphique, en
le devinant, plutôt.
    Ce sont trois forçats en promenade.
    Au matin, nous avons fait vingt kilomètres.
Nous tombons où nous sommes et dormons. Une heure après, nous
reprenons la route. C’est dur de repartir ! Nous marchons tout
le jour, nous arrêtant souvent. Il y a des bananes ; nous en
prenons : la nature nous les donne.
    Les maisons des villages que nous traversons
sont en vase compressée. Qu’il ferait bon, là dedans, une
heure ! une nuit ! Les habitants ferment leurs portes.
Les chiens aboient, les enfants nous montrent de loin. La nuit
revient.
    L’Autre suit comme

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