Aesculapius
carnage.
Il avança vers le boyau, flambeau tendu devant lui. Béatrice ne vit plus que la masse de son dos. Soudain, il disparut au détour d’un coude. Des hurlements féroces. Les chiens avaient été lâchés. Le combat à outrance commençait. Elle entendit les injures criées par Léon, les aboiements, les grondements. Un gémissement de douleur. Un des chiens sans doute.
Brusquement, une bête énorme, gris foncé, le flanc en sang, les yeux fous, les crocs dénudés, apparut et se précipita vers elle. Celle que Léon venait de blesser et qu’il avait laissée fuir vers la petite salle pour que Béatrice l’achève tandis qu’il se battait contre l’autre. Plus loin, la mêlée qu’elle ne pouvait voir faisait rage. Le chien bondit. Elle fit un écart et se laissa choir sur lui de tout son poids, plaquant sa gueule redoutable d’une main. Sa dague s’enfonça dans le cou puissant, à plusieurs reprises. Le magnifique corps ne bougea plus.
Béatrice d’Antigny se releva, les mains couvertes du sang d’un vaillant animal dont le seul tort avait été de tomber entre les mains d’un monstre. La haine brûlante qu’elle éprouvait pour Nicol Paillet crût encore.
Le soudain silence qui provenait de l’autre côté du coude l’angoissa. D’interminables secondes de silence. Enfin, la lourde silhouette apparut. Léon émergea du boyau, tirant derrière lui la dépouille du second chien, égorgé. Du sang coulait à profusion de son bras, gouttant sur le sol de granit.
— Blessé ?
Il sourit :
— Salement mordu. Bah, on en a vu d’autres, n’est-ce pas, seigneur madame ! Notre bon mire va me rafistoler 1 .
Béatrice essuya sa dague gainée de sang sur son caleçon ajusté et la saisit de sa main gauche. De la droite, elle tira son épée. Puis elle avança vers le couloir naturel et précisa à voix forte, afin que Paillet puisse l’entendre.
— Me suis, Léon. Il est à moi, et je le veux vivant afin que mon bourreau sorte de sa mélancolie. Il lui faut de l’amusement, je ne condamne pas assez. Il ne s’occupe pas et dépérit, ce pauvre homme. Si l’immondice parvenait à m’atteindre, qu’il meure, doucement, de ta main.
Elle déboucha avec prudence dans une salle assez vaste et remarqua aussitôt la cage ouverte dans laquelle Paillet enfermait les chiens. La puanteur y était presque insoutenable. Nul signe du maître fèvre. Léon demeura à l’entrée du boyau, en surveillance. Béatrice d’Antigny bondit vers le centre de la salle, afin de se garder de tous côtés. Une voix lourde, venimeuse, s’éleva en diagonale d’elle, provenant d’un recoin d’ombre :
— La Putain rouge et son esclave !
La baronne sourit, sincèrement amusée :
— Morbleu, on a fait bien plus savoureuses que cela en matière d’insultes à mon égard ! Alors, la larve, on se bat ou on se cache tel le pleutre découillu que l’on est ? On a besoin de chiens pour se faire accroire courageux et redoutable, n’est-ce pas ? Fais-tu dans tes braies ? Est-ce là l’odeur écœurante qui nous offense les narines ? As-tu besoin d’une nourrice pour te torcher ? Allez, le châtré, tu n’as qu’une faible femelle devant toi. Aurais-tu peur d’une femelle ?
Une silhouette fonça sur Béatrice, un énorme coutelas de chasse brandi. La baronne feinta, se recula d’un bond léger et se fendit, s’agenouillant presque au sol. La lame étincelante fila, se fichant dans le genou de Paillet qui hurla de douleur. En un éclair, Béatrice fut à nouveau en garde, surveillant sa proie. Elle pouffa :
— Oh, que d’histoires pour une petite coupure ! Allons, allons, un peu de nervosité.
— Catin de l’enfer, salope, crève !
— C’est tout ?
Paillet fondit à nouveau sur elle, arme levée. Elle roula au sol, se relevant d’un mouvement de reins derrière lui.
— J’avais pourtant juré ne jamais me battre contre des pucelles ! Quelle pitié ! On s’ennuie, le fèvre, on s’ennuie. Ose quelque chose qui nous amuse un peu.
L’exécration, plus que la peur, faisait trembler Nicol Paillet. Il recula de quelques pas et lança sa lame. Béatrice, n’ayant pas prévu le coup, tenta d’y parer ; trop tard. Le couteau se planta dans son bras droit, lui arrachant un gémissement.
— Alors, la sale pute, on est moins faraude, hein ?
La Baronne rouge inspira longuement, dissipant de sa seule volonté la douleur qui irradiait dans tout son corps. Elle tira
Weitere Kostenlose Bücher