Aesculapius
Béatrice s’essuya la sueur du front. Ce n’est qu’à ce moment que le jeune mire remarqua un détail qui, sur l’instant, ne retint pas son attention plus avant.
Il avait de plus en plus le sentiment de nager au milieu d’un rêve incompréhensible, dont il ne savait s’il s’agissait d’un cauchemar ou de l’un de ces délires dépourvus de sens qu’invente parfois notre imagination nocturne.
Le feu, comme libéré, rugit, magnifique et dévorant.
Incertain, Druon s’enquit :
— Souffririez-vous d’un refroidissement, madame ? Je puis vous être d’aide.
La repartie cingla :
— Ai-je l’air d’être une poupée de son et d’étoupe qui souffre de quoi que ce soit ? Je ne suis pas Julienne. Je n’ai pas de ces faiblesses de femmes.
— La gouëtre atteint tout aussi bien les mâles.
— Je ne me pâme pas, monsieur. Et même lorsque l’on m’a frappée d’estoc, je demeure débout !
Une voix de petite fille s’éleva, celle d’Igraine :
— Chère seigneur Béatrice, nul ne met en doute votre immense courage, dont tous ont été témoin. Toutefois – en viendrons-nous au fait… ou plus exactement au mythe ? C’est pour cette raison qu’il est en ces lieux.
Furibonde, l’intéressée rétorqua :
— J’ai eu cent fois envie de te faire rôtir, découper ou noyer, pourquoi ne m’y suis-je jamais résolue ?
— Parce que vous ne pouvez pas vous passer de moi et que je ne peux pas me passer de vous… Sans quoi, vous auriez déjà trépassé depuis bien longtemps, arriva la réponse mutine.
Étrangement, et à l’opposé de ce que Druon avait redouté, cette espièglerie, car c’en était une, fit pouffer la baronne.
— Certes, tu es irremplaçable ! Ma vie serait un ennui insupportable sans toi. Cependant, quel agacement tu me procures parfois !
— À l’identique, madame ! Avec tout mon amour, ma gratitude, ma fidélité et mon respect.
Druon sentit que ces deux femmes partageaient un secret. Un secret puissant et féroce.
Un silence s’imposa, rythmé par le souffle pénible, bouche entrouverte, de la baronne. Enfin, elle se décida :
— Messire mire, vous nous avez tantôt affirmé être versé dans la science abjecte 9 de l’enherbement 10 ?
— Si fait, madame. Ainsi que je vous l’ai dit, certaines bienveillantes potions peuvent se révéler de violents poisons si l’on augmente la dose. D’autres ne sont que mortelles. Ainsi l’if n’est-il qu’une substance nocive à l’extrême 11 . Cela étant… mon art consiste à soigner et…
— Pour l’instant, votre art consiste à m’obéir et en général à protéger les créatures humaines, rectifia la baronne d’un ton sans appel.
— Seigneur madame, je crains que nous ne donnions à notre bon mire une fausse idée de nous-mêmes, intervint Igraine.
— Que suggères-tu ?
— Lui expliquer aussitôt ce que… enfin la chose que nous souhaitons enherber après diverses tentatives infructueuses.
— Bien vif d’esprit qui peut… le… la… décrire ! Les témoignages des rares survivants sont insensés. À croire que leur épouvante leur a fait perdre le jugement. Quant à moi, j’ai erré des jours et des nuits, seule, ou en compagnie de Morgane, songeant que je faisais ainsi une proie propice… je n’ai jamais rien aperçu. À son tour, Léon a arpenté les bois, à pied, sans arme visible. Rien. Notre bon prêtre, Henri, a cru judicieux de nous imiter. Malgré ma mise en garde, il est parti, crucifix brandi, chantant des cantiques à la très grande gloire de Dieu. On a retrouvé sa dépouille sanglante, à peine reconnaissable n’eût été sa robe, à une demi-lieue* du village.
— Je ne… commença Druon dans l’incompréhension.
Un impérieux geste de main l’arrêta. Morgane baissa la tête dans sa direction et il se fit la réflexion que le vaillant oiseau déchiffrait à merveille les humeurs de sa maîtresse.
La Baronne rouge se leva de sa forme et descendit de l’estrade. Ce n’est qu’à cet instant que Druon remarqua qu’elle le dépassait d’une demi-tête, une taille que n’auraient pas dédaignée nombre d’hommes.
— Léon, fais-nous servir une carafe de vin fin. Qu’ils ajoutent quelques gourmandises afin qu’il ne nous monte pas à la tête. Joins-toi à nous ensuite.
Elle invita d’un geste Igraine et le mire à s’installer autour de la longue table réservée aux repas du seigneur et de ses proches
Weitere Kostenlose Bücher