Aesculapius
d’autres :
— Croyez bien que notre seigneur s’inquiète fort de l’état de santé de sa chère sœur d’alliance. C’est du reste pour cette raison, qu’elle souhaite vivement qu’elle la rejoigne.
Julienne d’Antigny sentit l’insistance sous la courtoise et après un autre regard triste pour le sieur Évrard, se leva à contrecœur en frissonnant.
Sans rien dévoiler des secrets appris qui faisaient maintenant son avantage, Druon narra à la baronne Béatrice quelques anecdotes où la science avait tiré des malades des griffes de la mort, anecdotes toutes empruntées aux souvenirs de son père. Ainsi, il proscrivait le nettoyage des plaies au vin mêlé de miel 2 , avec ou sans aromates, lui préférant l’alcool de vin ou le vin très aigre. Certes, la douleur était vive, mais le patient se remettait bien mieux de son infection, par un mécanisme fort étrange. Contrairement à tous ses confrères, il dédaignait les saignées, ayant remarqué qu’elles affaiblissaient avant tout le malade. Aux sujets trop pleins de sang 3 , et plutôt que de les en vider, il prescrivait une diète 4 faisant grand cas de légumes, de fruits et de viandes blanches. Quant aux emplâtres de boue et de paille sur les plaies suppurantes 5 , il les tenait en grande méfiance.
Une appréhension l’avait gagné alors qu’il affabulait. Cette Julienne était-elle souffrante ? La baronne les avait-elle épargnés à seule fin qu’il la soigne ? Si, grâce à l’enseignement paternel, il était plus érudit que tous les mires et les médecins réunis du royaume, il s’agissait d’une connaissance théorique. Qu’avait-il soigné jusque-là, hormis une fièvre printanière de Jehan Fauvel – et encore grâce à ses indications ? Surtout, qu’avait-il diagnostiqué ? Certes, panser la plaie d’Huguelin avait été simple. En revanche, déduire une maladie de ses symptômes se révélait affaire bien différente. Il fournit un effort pour maintenir son calme et conserver un débit posé et presque péremptoire. Pourtant, il sentit la sueur poindre à ses tempes.
La baronne Béatrice l’écoutait, le torse légèrement incliné vers lui, le visage impavide.
Le retour du géant Léon mit fin au monologue du jeune homme. Il était accompagné d’une jeune femme de petite taille, assez en chair, au visage fort pâle et un peu bouffi.
— Julienne, enfin… Il est aimable à vous de nous avoir rejoints, lança la baronne d’un ton acide. Cet homme que vous voyez se prétend grand médecin et vous devrait soulager. Du moins, je l’espère pour lui.
Après un sourire vaguement ennuyé, vaguement contraint, la femme encore jeune déclara d’un ton incertain, comme si elle cherchait ses mots :
— Ma sœur… de grâce, vous êtes si bonne envers moi. Tous les remèdes que l’on m’a contrainte de prendre jusque… là n’ont rien fait que me retourner… euh… les intérieurs et me faire dégorger telle une bête.
Se tournant à nouveau vers le mire, la baronne expliqua sans émotion :
— Ma sœur d’alliance, Julienne, souffre depuis des années de… (Un sourire sans chaleur étira ses lèvres et elle s’exclama :) Non, mettons-vous aussitôt à l’épreuve. De quoi souffre-t-elle ? Car après moult erreurs de diagnostic, billevesées en tous genres, un médecin moins benêt que ses semblables a fini par trouver, à ceci près qu’il fut incapable de la guérir. Allons, monsieur, j’attends !
Il remarqua qu’elle était passée au voussoiement. Une marque de respect qui ne le rassura pas.
— Puis-je palper madame votre sœur ?
— Faites.
Julienne d’Antigny se tenait droite et eut un léger mouvement de recul lorsque Druon lui prit les mains, tout en jetant un regard inquiet à l’aigle qui suivait chacun de ses gestes. La peau de dame Julienne était fraîche et sèche. Elle portait une housse d’épaisse tiretaine, sur une cotte ample passée sur son chainse, sans lien de taille, et dont le col remontait à mi-cou, une coupe peu fréquente. Druon se fit la réflexion qu’elle était bien chaudement vêtue pour la saison et la chaleur de la salle. Le regard du jeune mire tomba sur la bande de lin qui lui enserrait la gorge et que dissimulait en partie le col haut. Il retint le soupir de soulagement qui lui venait, remerciant en son for intérieur ceux que la baronne avait nommé les « benêts ».
— Madame, votre… homme pourrait-il nous abandonner quelques
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