Aesculapius
Béatrice.
« Invité », certes contre son gré, termina-t-il pour lui. Il lui sembla que le silence devenait encore plus pesant. L’autre hocha la tête, un air indéchiffrable sur le visage, avant d’annoncer d’une voix incertaine :
— C’est que nous sommes déjà bien pleins…
Druon observa ostensiblement la salle et la moitié de tables inoccupées. Il commenta d’un ton peu amène :
— Vraiment ? Qu’il est rare de rencontrer un tavernier pour qui le profit d’argent n’est pas la seule urgence…
Il sentit que l’autre jugulait son irritation et acheva en levant le ton, de sorte à être entendu de tous :
— Puisque je ne devrais pas occuper six tables libres à moi seul et que mon séjour en votre établissement sera de courte durée, servez-moi donc un cruchon de votre meilleur vin. J’ai le gosier sec d’avoir longuement discuté des… événements avec Gaston le Simplet. Vous savez, celui qui jouit de la protection de la baronne. Sous peine de mort pour qui lui chercherait… noise.
— Personne lui veut d’mal, se défendit agressivement maître Limace. C’te un idiot, voilà tout.
— Je suis aise de l’entendre, ironisa Druon en se demandant s’il ne poussait pas la joute trop loin.
Il lui faudrait retourner jusqu’au sous-bois où l’attendait Léon. Habile bretteur, il était de taille à se défendre contre un ou deux hommes, non contre trois ou quatre.
Escorté par les regards des clients, le mire s’installa, adoptant une attitude sereine qu’il était loin de ressentir.
Les conversations reprirent, sans grand entrain, toutefois.
Quelques instants plus tard, maître Limace posa un cruchon et un gobelet sur la table en bois patinée par les ans. Druon se servit et regarda l’autre, planté devant lui, bras croisés sur le torse. Il lui jeta un regard interrogateur, attendant la suite, laquelle ne tarda pas.
— Alors, z’avez discuté avec le Simplet ? L’était dans la r’mise.
Un silence massif se réinstalla aussitôt, tous tendant l’oreille.
— Oui aux deux questions.
Optant pour une cordialité qui sentait l’artifice, l’aubergiste conseilla :
— Oh, vous savez, messire chevalier, faut point trop porter attention à c’qui raconte, l’Gaston. Y divague, surtout quand y s’est trop rincé le gosier.
— Il m’a eu l’air très sobre et tout à fait intelligible, au contraire. Certes, avec ses petits moyens de langue. Bien intéressant, cependant…
— Et si c’est pas d’l’irrespect… de quoi que vous avez causé ?
Haussant les sourcils, fixant l’autre du bleu intense de ses yeux, Druon feignit l’étonnement.
— Mais… de la créature, pas de philosophie ! Et puis… de la visite de Séraphine, peu avant que la malheureuse ne trépasse.
L’imagina-t-il, ou une ombre mauvaise assombrit-elle un peu plus le regard noir de maître Limace ?
— Hum… À c’qui paraît, elle s’rait pendue.
Druon ne tergiversa qu’une seconde, priant pour ne point commettre une grave erreur d’appréciation. Non, cela ne se pouvait ! L’ennemi se trouvait dans les parages, tapi dans ce village. Encore lui faudrait-il comprendre son lien avec la créature, si toutefois il existait.
— Non pas… Elle a été étranglée par des mains bien humaines. On a tenté ensuite de déguiser son meurtre en suicide, imputable aux conséquences de son affreuse attaque…
Un murmure dans son dos, un « morbleu 1 ! » dont Druon n’aurait su dire s’il exprimait de l’indignation ou de la stupéfaction, ni qui l’avait prononcé.
— … Quoi qu’il en soit, poursuivit-il, sa mort ne changera rien puisque je sais maintenant ce qu’elle avait à dire.
— Et c’est ?
— Vous me paraissez bien curieux, l’ami Limace !
L’autre crispa les mâchoires de fureur mais se ravisa :
— Ben, ça paraît normal, vu q’c’est nous tous qu’on est menacés par la créature et qu’Séraphine, elle était appréciée de nous autres !
— Il est vrai, admit le mire. Eh bien, disons que j’ai obtenu sa fidèle description de la créature, par-delà la mort.
Du coin de l’œil, il vit un des clients se signer.
— À quoi ressemble-t-elle ? Séraphine ne s’est confiée qu’à messire Jean le Sage, sans lui révéler grand-chose, intervint Lubin Serret, d’une voix dont Druon perçut la tension.
Druon se tourna vers lui, un sourire aux lèvres, avant de biaiser :
— Disons qu’elle
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