Aesculapius
Toutefois, heureusement pour toi, elle ne t’a pas aperçu.
Un autre hochement de tête.
— Comment était-elle ? Celle qui a attaqué Séraphine puis toi ?
Un signe de dénégation cette fois. Le simple serra les lèvres, refusant de parler, ressemblant à un vieux bambin tout à la fois obstiné et apeuré. Druon lui resservit du vin, s’en voulant un peu de l’enivrer afin de le pousser aux confidences.
— Gaston… il est important que je sache à quoi elle ressemble si nous voulons venger la mort de Séraphine. C’était ton amie, n’est-ce pas ?
— Voui-voui. Gentille.
Druon leva les deux bras au-dessus de sa tête en demandant :
— Très grande ?
— Oooohhhh, voui-voui.
Le simplet indiqua de la main qu’elle mesurait une bonne tête de plus que lui. Se dandinant avec lourdeur en écartant les bras en anse, il la décrivit comme une énorme bête peu agile. Il dodelina du chef, de droite, puis de gauche, et le jeune mire se demanda ce qu’il voulait évoquer.
— Un ours de haute taille ?
— Non, non.
— Cette bête marchait-elle à deux ou à quatre pattes ?
— L’a un peu marché, à deux pattes. Pis… s’a assise su’son cul, l’a r’levé les pattes d’l’avant ! (Les larmes s’accumulèrent sous ses paupières alors qu’il revivait la scène :) Gaston peur… Très peur… Gaston caché, couché derrière l’arbre. L’regardait. Très peur.
Druon posa une main apaisante sur son bras.
— Il y avait de quoi avoir peur. Que s’est-il passé ensuite ? le poussa avec douceur le jeune mire en remplissant à nouveau le godet.
Gaston le vida à grands bruits de déglutition. La masse de muscles au regard d’enfant était livide et un effroi rétrospectif se lisait sur son visage. Druon n’eut plus aucun doute : il avait bel et bien vu la créature. D’une voix altérée, le Simplet poursuivit, en dodelinant à nouveau de la tête, ses joues frôlant presque ses épaules à chaque balancement :
— L’a r’tourné. Vers Gaston. L’a avancé. Oooohhhh.
Il gémissait, se tordant les mains de terreur ainsi qu’il avait dû le faire au moment des faits.
— Ooohhhh… Gaston peur, très peur. Gaston pleure… Chuuuttt, pas d’bruit, pas d’bruit…
— Il ne fallait surtout pas faire de bruit, approuva Druon, pendu à ses lèvres. Et ensuite ?
— Dame Lune, dans les yeux d’la démone. Verts. Verts, verts.
Il plaqua ses mains à demi refermées en serres sur ses propres yeux.
— De gros yeux verts, globuleux ? vérifia Druon en imitant son geste.
Un « voui » craintif lui répondit.
— Quoi d’autre, Gaston ? insista Druon en vidant le fond de la boutille dans son gobelet.
— L’a des griffes… Oh, mignonne Marie mère du p’tit Jésus ! Des griffes !
Il tendit ses doigts écartés.
— Des griffes longues comme une main d’homme ?
— Ah… Mignon Jésus ! Longs… longs…
— Qu’a fait la démone ensuite, Gaston ?
Haussant les épaules, tel un enfant, le Simplet lâcha :
— Partie, pfout !
— À deux ou à quatre pattes ?
— Pas vu. Peur Gaston, pleurnicha l’homme.
Il plaqua ses mains sur ses yeux et Druon comprit qu’il avait préféré ne pas voir si la créature s’apprêtait à fondre sur lui.
— Et quoi d’autre ? As-tu remarqué autre chose ?
Le Simplet hocha la tête en signe de dénégation, l’air si défait que Druon sut qu’il disait vrai.
— Et notre amie, Séraphine, a-t-elle vu la même bête, la même démone ?
— Voui-voui.
Il reproduisit le même mouvement de balancier, tant avec sa tête qu’avec son corps, de droite, puis de gauche, évoquant un ours de foire. S’énervant d’un coup, il feula à voix basse :
— Démone, salope ! Crève, salope !
Un doute surgit dans l’esprit de Druon qui s’enquit :
— Une femelle ? Tu es sûr ?
Un petit air malin se peignit sur le visage du simple, effaçant la peur et la colère :
— L’avait des nichons 1 , murmura-t-il d’une voix futée.
Mettant les mains en coupe sous ses seins, il se pavana en gloussant.
— Des tétines ?
— Voui ! (Gaston pointa ses index vers son torse et les descendant progressivement énuméra :) Deux, et deux, et deux…
— Comment as-tu pu les distinguer à cette distance, de nuit et alors que tu étais caché derrière un arbre, les yeux clos ?
Un sourire heureux dévoila les chicots noircis :
— Pas vu. S’raphine l’a vu. L’a
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