Aïcha
Muhammad. Ils disparurent côte à côte dans la mosquée. Quand ils en ressortirent, l’Envoyé et ‘Abdallâh ibn Obbayy s’embrassèrent comme des frères. Mon père et Ubadia ben Shalom souriaient. Nous pensâmes que le châtiment des Banu Qaynuqâ serait une affaire simple.
Mais le lendemain, ni mon père ni mon époux n’étaient sous le tamaris de notre cour. La rumeur les disait dans la maison fraîchement fortifiée d’Omar, avec quantité des héros de Badr.
Barrayara relaya des rumeurs d’hommes en cuirasse et de guerre imminente au coeur même de la ville. Les cuisines s’emplirent de gémissements. Déjà, certaines certifiaient que les Juifs, plus nombreux, plus puissants et plus richement armés que nous grâce au Banu Qaynuqâ, allaient exiger notre départ de Yatrib. Tous les efforts que nous avions accomplis, tous ces murs dressés avec tant de peine allaient être ruinés. Où irions-nous ?
Ces bavardages ténébreux ressemblaient à un caquetage de hyènes dans un cimetière. Je m’embrasai de colère. Alors que le Noir Bilâl allait chanter la rupture du jeûne et que le repas fumait dans les jarres, je les brisai à coups de brique. La soupe inonda les feux en grésillant, éteignant les braises. Je hurlai :
— Honte à vous toutes ! Qu’Allah vous fasse honte ! N’avez-vous pas entendu l’Envoyé ? Allah vous tient sous Son aile et vous êtes là à gémir telles des mécréantes. Regardez-vous ! N’êtes-vous que des demi-bouches ? À quoi cela vous sert-il de prier le Clément et Miséricordieux soir et matin ? De quel nouvel exil parlez-vous ? L’Envoyé n’a-t-il pas prouvé qu’il vous conduisait sur une route droite et devant laquelle nul ne peut se dresser ? Faut-il sans cesse tout recommencer pour vous convaincre ? C’est nous que l’on craint dans Yatrib. Il n’est plus qu’un exil : celui des mécréants et des hypocrites ! L’enfer les attend !
D’où me vinrent ces paroles ? Aujourd’hui encore je l’ignore. Peut-être avais-je moi-même trop peur de posséder les défauts que je reprochais à mes compagnes.
Ma rage fit tomber un silence sidéré sur les cuisines. Je m’enfuis dans ma chambre et interdis à Barrayara comme aux autres d’en franchir le seuil.
Je venais de priver de repas toute la maisonnée qui l’attendait depuis l’aube. Comme on a dû me détester ! Plus tard, je sus que les femmes allèrent quérir de la nourriture chez les voisines.
Une fois ma colère retombée, je n’étais plus si certaine de sa bonne cause, et j’endurai comme une punition la torture de la faim. Elle n’était rien comparée à celle de mes mensonges et de mes fautes.
2.
Je dormis peu cette nuit-là. L’obscurité était encore pleine quand mon nom fut prononcé derrière la porte de ma chambre :
— Aïcha ! Aïcha, réveille-toi…
Je ne reconnus pas la voix. J’entendis le frottement de la portière qu’on soulevait et aussitôt le marmonnement brutal de Barrayara :
— Lève-toi. Passe une tunique décente. Ton époux t’envoie de quoi apaiser ta faim et calmer ton humeur.
À la lueur des étoiles, je devinai la silhouette qui accompagnait Barrayara.
— Talha !
Il me tendit un couffin d’alfalfa.
— Voici de la soupe et du pain de la part de l’Envoyé. Dépêche-toi de manger ! Bilâl ne va pas tarder à annoncer le jour.
Je perçus l’amusement dans sa voix. Ses yeux brillaient.
Je ne tergiversai pas. Je savais trop bien la dureté de la journée qui m’attendait si je restais le ventre vide. J’avalai soupe et pain avec délice. Pleine d’un ressentiment qui devait lui bouillir le coeur depuis la veille, Barrayara gronda :
— Avais-tu besoin de casser nos jarres et de tuer nos feux pour dire ce que tu avais à dire ? Pendant le jeûne, alors que les ventres criaient de faim ! Sais-tu combien se lèveront tout à l’heure en te maudissant ?
— Il vaudrait mieux que nul ne maudisse l’épouse de l’Envoyé, intervint Talha d’un ton tranquille. Il a été très content d’apprendre sa colère. Il a ri de plaisir et l’a approuvée. Devant tous, il a dit : « Puisse ma bien-aimée avoir des soeurs d’esprit dans chaque demeure ! Allah en serait très heureux et mieux écouté. »
Barrayara grogna en roulant des lèvres avant de marmonner dans son menton :
— Si l’Envoyé le dit…
Elle se reprit et se raidit :
— Allah est grand et Il sait ce qu’il fait. Et vous,
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