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Aïcha

Aïcha

Titel: Aïcha Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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résonnaient des lamentations. Les mères, les épouses, les filles couraient vers nous à travers l’oasis, bras levés et yeux écarquillés, en espérant ne pas avoir perdu un proche. Les questions fusaient :
    — Où est mon époux ? Est-il vivant ou mort ?
    — Mon fils ? Est-il blessé ? Est-il mutilé ?
    Tel ou tel avait quitté Madina sur un cheval frémissant et dansant. Ils revenaient sur des chamelles au cou et à la croupe noircis par le sang du combat. Ceux qui les découvraient ainsi se précipitaient pour baiser leurs mains et essuyer la poussière de leurs bottes.
    Les survivants leur disaient :
    — Ne vous lamentez pas ! Allah ne nous a pas abandonnés, Son Messager est vivant !
    Muhammad, lui, confirmait d’un hochement de tête. De temps à autre, il se redressait sur sa selle pour laisser croire que ses blessures étaient bénignes, bien que sa longue chevelure fut noyée sous les pansements et sa barbe durcie par les croûtes de sang. J’avais lavé ses plaies superficiellement. Nous avions à peine assez d’eau pour les ablutions, et il y avait tant de plaies à nettoyer… À Ali et Omar, qui s’en étaient inquiétés, mon époux avait répondu :
    — Allah sait que nous, les vaincus, sommes impurs. Il veut éprouver notre courage.
    Fatima, comme d’ordinaire, se tenait à sa gauche. Le sang des idolâtres durcissait sa cuirasse et ses joues. Son allure faisait peur. Pour venger la mort d’Abu Hamza, elle avait ouvert les gorges, tranché les doigts et les oreilles d’une foule d’idolâtres. Elle ne s’était retirée du chaos qu’après que les archers d’Abu Sofyan eurent fait éclater son bouclier. Je l’enviais. Pourquoi Allah ne m’avait-Il pas donné son courage et sa force pour protéger mon époux tant aimé ?
    Tous, épuisés et ensanglantés, entouraient Muhammad. Ali avait les yeux vides. À Uhud, c’était un démon crachant la mort. On comptait des blessures partout sur son corps. Omar avait la cuisse ouverte et le visage transparent de ceux qui ont perdu trop de sang. Une lance avait déchiré le flanc de mon père. Zayd avait reçu tant de flèches contre sa cuirasse qu’elle s’ouvrait comme un fruit mûr. ‘Othmân se tenait plié sur sa selle pour maintenir fermée la plaie d’épée qui lui entaillait le ventre.
    Et les autres ? Une infinité de mutilés. Un choeur de complaintes. Une procession de civières où gisaient des mourants.
    Talha était couché sur le dos d’un cheval, inconscient. Il avait transformé son corps en bouclier pour protéger mon bien-aimé. Les Mekkois l’avaient frappé. Il avait résisté. Les lames le tranchaient, les lances le trouaient, les flèches se plantaient dans sa cuirasse, mais lui restait debout, hurlant et maniant sa nimcha. Il ne s’écroula qu’après avoir vu Abu Sofyan se retirer, écoeuré de savoir le Prophète d’Allah encore vivant.
    Quand Muhammad découvrit le corps de Talha qui se balançait sur la croupe du cheval, il s’écria :
    — Ne le laissez pas mourir ! Talha ibn Ubayd Allah doit vivre ! Dieu lui a déjà accordé la splendeur du martyr. Il n’a nul besoin de sa mort.
     
    Les ombres s’allongeaient quand nous arrivâmes en vue de notre maison. Entourée des servantes, Hafsa nous attendait. Comme les autres, elle croyait que notre époux était mort.
    Quand elle le découvrit droit sur sa chamelle, elle poussa un hurlement si aigu qu’il nous figea tous :
    — Ô, mon époux, mon époux ! Ô, Dieu tout-puissant ! Je le savais ! Seuls les fous et les mauvais pouvaient croire qu’Allah le Clément et Miséricordieux répudiait Son Prophète. Ô mon époux !
    Je dus descendre de ma monture pour la soutenir. Le bonheur et l’effroi de retrouver Muhammad dans cet état terrible la faisaient défaillir. Notre époux, lui aussi, fit plier les genoux de sa chamelle et serra Hafsa dans ses bras afin qu’elle s’apaise.
    En cet instant, nous devînmes amies. De ce moment, et pour toutes les années de vie d’Hafsa bint Omar.
    Allah est grand ! Il a joint notre amour commun pour Son Envoyé en une tresse jamais dénouée. L’amour de l’une a renforcé l’amour de l’autre, la vie de l’une a renforcé la vie de l’autre. Le serpent de la jalousie n’a jamais pu y planter ses crocs.

2.
    Nous prîmes du temps pour soigner notre époux. Ses cuisses et son torse étaient bleus de coups. Sa chair rougissait et suppurait. Son sang perlait sous les pommades et

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