Aïcha
disent-ils à Muhammad après l’avoir poliment salué. Nous serons mieux à l’intérieur pour parler.
L’Envoyé refuse. Il descend de sa mule et s’accroupit à l’ombre d’un haut mur.
— Voici une place qui me convient.
Et, d’une voix forte, il dit ce qu’il a à dire. Ceux des Banu Nadir, qui, debout devant lui, l’écoutent, se montrent complaisants :
— Nous ne pouvons toutefois te donner une réponse solide sans en discuter avec les nôtres, disent-ils. Entre dans notre cour, accepte au moins que nous t’offrions de quoi étancher ta soif en attendant notre retour.
Muhammad et nos pères pénètrent à l’intérieur du fortin. Une servante apporte à boire et à manger. Méfiants, Omar et mon père lui demandent de goûter les boissons et la nourriture. Assis à l’ombre du mur, notre époux observe. La servante boit une gorgée de lait caillé et mord à pleines dents dans une galette de pain azyme préparée par les Juifs pour la Pâque proche. Tout se passe pour le mieux. La servante pose devant l’Envoyé une corbeille de dattes. Mais, au moment d’en prendre une, notre époux se lève brusquement et quitte l’ombre du mur. Omar et mon père s’en étonnent. Muhammad tourne vers eux un visage livide :
— Dieu me dit de ne pas rester là !
À peine a-t-il prononcé ces mots qu’une roche plus grande qu’un homme tombe du haut du mur et se fracasse à l’emplacement où il se trouvait. Omar et mon père roulent sur le sol sous les éclats de pierre.
— Par Allah ! Ces démons ont voulu te tuer ! crie Omar.
— Qui pourrait en être surpris ? dit l’Envoyé qui, sans perdre son calme, rassemble les mules. Allons-nous-en. Ce qui était à faire ici est fait.
Le soir même, Muhammad ordonna à Omar d’encercler les fortins des Banu Nadir avec trois cents hommes, nimcha au clair.
‘Abdallâh ibn Obbayy oeuvra de son mieux pour soulever tous les monâfiqoun de Madina contre l’Envoyé. Il n’y parvint pas. Ils avaient trop peur. Omar avait répandu la nouvelle :
— Sachez-le : nul ne saura atteindre le Messager ! Je lui ai dit : « Ne va pas chez les Banu Nadir, ils veulent ta mort. » Il m’a souri : « Sois sans crainte. Dieu saura me prévenir. » Je ne l’ai pas cru. Qu’Allah me compte mon doute au jour du jugement ! C’est exactement ce qu’il s’est passé. Les anges de Dieu veillent étroitement sur Son Messager !
En entendant ce discours, les Banu Nadir ricanèrent. Ils tentèrent de résister une poignée de jours. Sans hésiter, Omar fit brûler une grande quantité de dattiers et resserra le siège autour des fortins. Aucune autre tribu juive de Madina ne se porta à leur secours. Les rabbis prièrent le Tout-Puissant au plus profond de la synagogue. Les Banu Nadir ne reçurent qu’un seul signe de Dieu : l’Envoyé vint faire le tour de leurs murs sur sa chamelle blanche sans même avoir revêtu sa cuirasse. Il était à la limite des portées de leurs flèches. Pas un archer juif n’osa bander son arc sur lui. Les Banu Nadir comprirent alors qu’ils ne sortiraient pas vivants d’une résistance acharnée. Ils quittèrent leurs fortins comme les avaient quittés les Banu Qaynuqâ avant eux, trop heureux de ce qu’ils pouvaient emporter et que leurs femmes ne soient pas réduites en esclavage.
Je ne l’ai pas vu de mes yeux, mais Fatima s’en vanta sous le tamaris de son père et on me le raconta plus d’une fois : le jour de l’exil des Banu Nadir, elle s’empara d’un de leurs étendards. Puis elle galopa droit sur la maison d’ibn Obbayy. Là, elle tournoya sous les murs en hurlant :
— ‘Abdallâh ibn Obbayy, toi qui croyais tes murs imprenables, prends ta leçon ! Quand Allah le décide, rien ne résiste à Son Messager ! Tu peux en informer les hypocrites qui se cachent dans ta cour !
Fatima ne repartit qu’après avoir laissé son cheval réduire en charpie l’étendard des Banu Nadir sans même qu’une lance ne cherche à l’atteindre.
Ce soir-là, alors que la joie revenait sous le tamaris de notre cour, Hafsa me prit par la main pour me faire danser devant les cuisines.
— Regarde le collier que mon père m’a offert ! Et j’ai dix tuniques nouvelles dans ma chambre ! Je t’en donnerai une. Elles sont toutes en soie du Grand Est. Les Banu Nadir étaient plus riches qu’on ne pouvait l’imaginer. Mon père a fait déposer dans ma chambre une magnifique couche faite de
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