Aïcha
pas une n’égala son intelligence, son courage et sa sagesse.
Ô vous, les Croyantes d’Allah, je vous le dis : jamais vous n’avez eu plus puissante protectrice auprès du Clément et Miséricordieux.
Alors que je trace ces lignes, Omm Salama approche de sa centième année. Le Seigneur croit assez à sa sagesse et à son exemple pour la laisser respirer encore en ce monde. Aucun doute, j’affronterai le jugement éternel avant elle.
Il y a peu, lorsque mes yeux étaient encore bons, j’aimais monter à l’aube sur la terrasse de ma maison. J’y voyais la sienne à une portée de flèche et à l’ombre de quatre palmiers. Quand le muezzin chantait l’appel du matin, elle apparaissait à côté des linges que ses servantes venaient de mettre à sécher. Nous levions le bras pour nous encourager dans le jour naissant. Cela suffisait à nous rappeler bien des choses.
En vérité, si mes jambes pouvaient encore me porter et si mon souffle ne raclait pas si fort ma gorge, ces derniers temps, je serais allée m’asseoir près d’elle. À nous deux, nous aurions pu rassembler nos souvenirs pour ces écrits, des plus magnifiques aux plus terribles. Cela occuperait une belle longueur de rouleau d’écriture. Dieu veut qu’ils ne se perdent pas et permettent que le nom d’Omm Salama ne soit pas effacé par le temps !
Moi dont les jours sont comptés et la main à chaque heure plus engourdie, je dis ceci :
Nous étions dans la quatrième année de notre vie à Madina. Omm Salama réfléchit encore durant deux lunes avant d’accepter les épousailles avec le Messager d’Allah. Elles furent simples, sans faste ni orgueil excessifs. L’un et l’autre aimaient que les choses soient ainsi. L’Envoyé reçut la dot de sa nouvelle épouse de la main de son fils aîné. Il l’accepta sans hésiter, bien qu’elle ne fût pas d’argent. Ce n’était que des meubles, vêtements et objets du passé qui prirent place autour de la couche de la nouvelle choisie.
Hafsa et moi lui présentâmes bon visage. Nous ne fûmes pas longues à nous accorder sur les nuits que notre époux devait passer chez l’une et chez l’autre. Je prévins Omm Salama que Muhammad aimait parfois se reposer dans ma chambre en certaines occasions extraordinaires, s’il ressentait le besoin de rencontrer l’ange Djibril ou quand ses prières dans la mosquée se prolongeaient tard dans la nuit. Elle n’en montra aucune jalousie.
Elle s’installa chez nous avec quatre esclaves qui la servaient depuis longtemps. Barrayara connaissait deux d’entre elles : leurs mères avaient été capturées en même temps qu’elle dans les pays du Sud. Elle les aida à prendre leur place parmi les servantes de la maisonnée.
Quant à la joie de notre époux, qui ne la vit pas ?
Comme il ne pouvait la masquer même dans ma couche, je lui en fis la remarque. Il me répondit :
— Mon miel, n’aie ni doute ni crainte ! Jusqu’au jugement d’Allah tu seras la première dans mon coeur. Nul besoin de preuve pour en avoir la certitude ! Ce qu’Omm Salama soulève en moi, tu ne peux le comprendre. Il te faudrait plus d’années. Cela me rappelle un temps qui a précédé le tien de beaucoup. Ton père Abu Bakr et ta mère Omm Roumane ne t’avaient pas encore enfantée. J’étais marié à Khadija, ma première épouse. Beaucoup l’ont oubliée. Pas moi. Jamais. Je lui dois trop. Peut-être Dieu m’a-t-Il désigné comme Son Messager uniquement grâce à cette femme extraordinaire. Omm Salama me la rappelle. Aussi bien par son corps que par ses goûts, ainsi que par la sagesse de ses conseils. Toi qui n’oublies rien, plus tard tu pourras le dire à tous : Khadija et Omm Salama ont fait le bonheur de l’Apôtre d’Allah en le rendant meilleur parmi les hommes.
Les larmes me coulent d’écrire ces mots, comme elles coulèrent tout le jour suivant cet aveu. Mon époux pouvait-il faire plus beau compliment à une femme ?
Malgré ses recommandations je fus jalouse, rongée d’envie et de regrets.
Comme le disait Omm Salama, à quoi bon cacher les vérités de son coeur alors que Dieu les a en pleine vue ? L’Envoyé n’était plus si jeune. Jamais le temps ne me serait accordé de vieillir et d’acquérir assez de sagesse pour lui apporter ce qu’il trouvait auprès d’Omm Salama.
Hafsa fut plus sage que moi.
— À quoi bon gémir et s’emplir la poitrine du poison de la jalousie ? me disait-elle. Jamais
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