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Aïcha

Aïcha

Titel: Aïcha Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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mon époux comme je ne l’avais pas revu depuis des années. Avec tant de justesse, avec tant de désir de caresser ses lèvres et ses sourcils que je crus revivre ma jeunesse et ses folles exigences.
    Je vis aussi devant mes yeux aveugles Hafsa, Omm Salama, Barrayara, mon père Abu Bakr… tous ceux qui m’étaient chers. Et eux aussi avec tant de détails et une telle précision que le soir, en m’endormant, je pensais que mon sommeil me conduirait devant le Tout-Puissant et qu’enfin Il prononcerait Son jugement sur moi.
    Mais non ! Je me réveillai à l’appel du muezzin. Et, comme la veille, j’étais aveugle. Et, comme la veille, les servantes s’écrièrent :
    — Mère des Croyants ! Nous t’en supplions, bois cette tisane ! Bien-aimée Mère des Croyants, bois cette tisane ! Nous avons besoin que tu poses encore le regard sur nous !
    Qui sait d’où vint le prodige ? Des tisanes des servantes ou de la tendre clémence d’Allah ?
    Le voile noir devant mes yeux se déchira. Je revis le crépuscule. Puis les étoiles et la lune. Et l’aube aussi, quoique nimbée d’une brume semblable à celle qui monte de la terre après une ondée miraculeuse.
    Et ce jour d’aujourd’hui, je le vois aussi. Que le Seigneur des mondes en soit remercié dans l’éternité et que Sa volonté s’accomplisse !
     
    Car Sa volonté, je la sens dans mes os tout autant que cette brume nouvelle qui m’enveloppe.
    Car Sa volonté, je la sens dans ma main qui ne tremble pas en saisissant de nouveau le calame, devant ce rouleau assoiffé de l’encre et des mots du passé.

2.
    Il y a cinquante-deux années, j’étais en larmes dans ma chambre d’épouse. C’en était fini pour de bon de l’harmonie de notre maisonnée ! Tout était crainte et désastre.
    Du jour au lendemain, nos murs et nos portes furent doublés de voiles et de tentures. Une prison pour nous, les épouses de l’Envoyé !
    Nous subîmes bien des rites ridicules.
    Impossible de nous rendre aux cuisines : il fallait des cloisons de palmes pour nous protéger des regards étrangers.
    Impossible d’aller chercher de l’eau ou d’apporter le repas à Muhammad sous le tamaris.
    Impossible de rire et de plaisanter avec les servantes et les autres femmes de la maison.
    Dans la mosquée, des tapis furent suspendus aux poutres, formant un petit enclos près de la porte qui donnait sur ma chambre. Nous y fûmes confinées, nous, les épouses, comme du bétail.
    Par peur de déplaire à Omar en contrevenant à ces nouvelles lois, chacun tissa des cuirasses de silence tout autour de nous.
    Ce silence pesa sur nos nuques et nos paupières jusqu’à nous enlaidir. Les regards comme les mots nous fuyaient. Muhammad lui-même, jusque-là si tendre, si rieur et si confiant dans nos opinions, ne sut plus quel visage nous montrer. Il redoutait notre colère autant que notre peine…
     
    Il ne voulut rien changer à nos nuits. Mais tout le reste changeait. Et lui qui, au contraire de tant d’autres, ne s’était jamais complu dans la défiance des femmes, comment pouvait-il approuver ces changements ?
    Il entrait dans ma chambre le plus tard possible et montrait plus d’embarras que de bonheur à nos retrouvailles. L’insatiable curiosité que je lui connaissais depuis toujours avait disparu. Il ne posait plus de questions, ne commentait plus avec gaieté ou gravité les événements du jour. Même la naissance de son deuxième petit-fils, Hossayn ibn Ali, le fils de Fatima, ne l’égaya pas. Je notai avec un peu d’aigreur qu’il ne me convia pas sous le tamaris au moment de lui donner un nom, ainsi qu’il l’avait fait pour Hassan. Il se contenta de la présence de mon père. Je ne vis Hossayn pour la première fois que bien plus tard.
    Comme pour passer le temps et empêcher qu’un silence sinistre ne nous sépare davantage encore, il me réclamait le récit de souvenirs anciens. Ce qu’avait fait ou dit celui-ci ou celui-là en telle occasion… Les interrogations d’untel et les réponses que lui-même avait apportées… En quelle circonstance l’ange Djibril était venu le voir et l’avait réconforté… Des souvenirs qui ne parlaient jamais de nous et m’empêchaient d’accomplir le désir que j’avais de baiser ses paupières.
    Pendant que je contais, mon époux semblait percevoir dans ces vieilles histoires je ne sais quoi d’utile aux affaires qui le préoccupaient. Il s’enfermait plus encore dans ses pensées et ses

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