Aïcha
jusqu’au ciel. Attention, ne vous méprenez pas ! Zaïnab et Zayd sont d’honnêtes personnes. Ils ne mentent ni ne font semblant. Zayd est venu devant l’Envoyé. Il a dit : « Ô mon Père, Apôtre de Dieu, Zaïnab fond d’amour pour toi, et moi je n’éprouve rien pour elle. C’est un signe d’Allah. Je vais la répudier et tu la prendras pour épouse. » L’Envoyé a tergiversé. À mon avis, votre époux a beaucoup pensé à vous. La honte des pensées des hommes, on la connaît, surtout quand elle leur cloue la bouche. Finalement, le Messager a répondu à Zayd : « Fils, garde ton épouse et vis bien. » Zayd a insisté. L’Envoyé n’a pas varié : « Zayd, garde ta femme et crains Dieu. » Et puis, sur le chemin de la montagne où ils allaient côte à côte combattre Abu Sofyan, Zayd a annoncé qu’il avait répudié son épouse. « Pourquoi ?» a demandé l’Envoyé. « Pour que tu puisses la prendre pour femme, même si les Mekkois n’en font pas une veuve », a répondu Zayd.
— Par Allah, gémit Hafsa, en larmes. Quand cette femme aura sa couche chez nous, notre époux désertera la nôtre, c’est certain.
Barrayara fit de son mieux pour nous réconforter :
— Apprenez la patience et la sagesse. Il est temps. Ainsi vont les choses dans toutes les maisons. Toutes les femmes passent par ce chemin. Allah offre une récréation à Son Prophète. Qui êtes-vous pour vous y opposer ?
Ces paroles me firent tant horreur que je ne voulus plus rien entendre de Barrayara pendant un moment.
Deux nuits plus tard, Muhammad vint dans ma chambre, car c’était mon tour. J’étais immensément heureuse de le retrouver, mais tout autant pleine d’une colère que je ne sus cacher. Muhammad me connaissait trop bien pour ne pas la deviner sous mes gestes ordinaires. Il feignit de croire que je craignais autre chose que la vérité qu’il taisait :
— Ô, bien-aimée Aïcha ! Toi, tu ne dois pas t’effrayer de la venue des Mekkois. Allah sait où Il nous conduit.
— Je ne crains pas les Mekkois, Apôtre de Dieu.
— Je sais que le hidjab te serre le coeur. J’aurais voulu ne pas avoir à poser la question d’Omar à Allah. Cette nouvelle règle ne me met pas plus à l’aise que vous. Mais la vérité, c’est que Dieu ne cherche pas toujours à nous plaire.
— C’est pourquoi Il veut que Zaïnab bint Dah’sh se cache bientôt ici, comme nous, tes épouses ?
Muhammad se tut, hocha la tête, prit le temps de mesurer ses paroles :
— Tu dis vrai. Allah m’a dit : « Puisque Zayd a résolu de la répudier, nous la marions avec toi [25] . »
— Il se peut. Je ne L’ai pas entendu.
— Comment aurais-tu pu L’entendre ? Nous étions sur la route du Djoumat-Djandal.
Muhammad me considéra un moment, puis baissa les paupières. Ses doigts cherchèrent une datte. Enfin, il ajouta négligemment :
— Zaïnab ne le sait pas encore.
J’eus un petit grognement ironique. Mon époux se moquait de moi ! Bien sûr que Zaïnab connaissait la merveilleuse nouvelle ! Tout Madina l’avait apprise ! Sans doute même les milliers de païens d’Abu Sofyan la connaissaient-ils aussi !
— Peut-être aimerais-tu que je la lui apprenne, ô mon époux, dis-je sur un ton fielleux.
— Oui, cela serait bien.
J’en eus les jambes coupées. La rage m’emporta, si bien que je ne sus pas me retenir :
— Ça, jamais ! Jamais ! Tu peux faire de moi ce que tu veux.
— Ô Aïcha, mon miel, à quoi bon te mettre en colère ? Voudrais-tu t’opposer au choix de Dieu ?
J’aurais honte d’écrire les mots de ma réponse. Allah les connaît, c’est bien suffisant. Muhammad eut au moins la sagesse de ne pas m’interrompre. Mais ensuite, il voulut m’apaiser en prétendant que tout cela était raisonnable :
— Ne t’abandonne pas à la jalousie, ma bien-aimée. Réfléchis. Allah me conduit en toute chose. Il est le Très-Informé. Il voit tout et comprend tout. Dans mon coeur, Il a vu l’embarras créé par la beauté de Zaïnab. Une beauté qu’il a voulue et accomplie comme nulle autre. Dieu voit ma honte. Moi qui, en ce moment, ne devrais me soucier que des fourbes, des mécréants et de la guerre ! Dieu dit à Son Prophète : « Règle ton coeur et purifie ton esprit. » À toi, mon épouse la plus aimée, Il dit : « Ta clémence, ô Aïcha, sera la mienne. »
À quoi bon poursuivre la dispute ? Muhammad aurait toujours des mots
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