Aïcha
poignet.
— Non, non, protesta Barrayara. Ton père a la tête bien solide. Il connaît les ruses de guerre mieux que nous. Jamais il ne mettrait en danger la vie de l’Envoyé.
Avant la mi-journée, Muhammad quitta Madina à la tête d’une troupe de mille hommes en cuirasse. La nouvelle règle du hidjab nous interdisait à nous, ses épouses, de lui faire nos adieux en public.
Pendant les cinq jours et les cinq nuits qui suivirent, ce fut comme si nous ne pouvions plus respirer. Des nuits à chuchoter nos peurs en nous tenant la main dans le noir. Sans relâche, nous guettions le retour de notre époux. Un bruit de bête et nous imaginions qu’un messager apportait des nouvelles de la montagne.
Enfin, cela arriva un matin. Nous avions convaincu Barrayara de nous accompagner à l’oued pour laver du linge. Et aussi, je voulais prier dans la petite masdjid du Jabal Sal.
Nous étions les pieds dans l’eau quand des appels d’enfant nous firent lever la tête. Nous entendîmes le nom de l’Envoyé :
— Muhammad ! Muhammad le nâbi !
Deux longs voiles nous séparaient des autres femmes en train de laver. Barrayara se précipita pour les écarter et passer de l’autre côté. Elle revint, la bouche grande ouverte d’excitation :
— Votre époux est de retour ! Il est allé jusque du côté du Djoumat-Djandal. Si le grand Mekkois y a montré le bout de sa babouche, il l’a retirée dès qu’il a appris l’approche des Croyants d’Allah ! Des milliers de guerriers qui devaient nous effrayer, il ne reste que du crottin pour preuve de leur courage.
D’un côté comme de l’autre des voiles qui nous séparaient, des rires et des cris de joie retentirent. Des filles se jetèrent dans l’oued en chantant. Hafsa m’y entraîna. Un moment, nous oubliâmes la guerre et la rigueur du hidjab.
5.
Notre époux passa la première nuit après son retour de la montagne dans la couche d’Omm Salama, ainsi qu’il le devait. Hafsa et moi restâmes ensemble comme les nuits précédentes. Barrayara nous rejoignit à l’aube.
— Réveillez-vous, ne traînez pas ! nous lança-t-elle d’un ton sévère.
— Pas de mauvaise nouvelle ce matin ! protesta Hafsa en bâillant.
— Bonne ou mauvaise, c’est selon.
— Selon quoi ? demandai-je.
— Votre sagesse, si jamais vous en avez.
— Barrayara, grogna Hafsa, pas de reproche et pas d’énigme ! Il est trop tôt. Parle pour de bon ou je me rendors sur-le-champ.
— Alors, ouvrez vos oreilles. Avant de compter le crottin des chevaux d’Abu Sofyan, votre époux a réglé une autre affaire sur le chemin du Djoumat-Djandal. Si Dieu le veut, vous aurez une nouvelle épouse à vos côtés avant la fin de cette lune.
Hafsa se tendit comme un arc. Sa voix sonna, sèche et dure :
— Qui, cette fois ?
— Zaïnab bint Dah’sh.
— Ah non ! Pas elle ! Elle est trop belle !
Je m’écriai :
— Pas possible ! On t’a menti, Barrayara. Zaïnab est l’épouse de Zayd ibn Hârita. L’Envoyé lui-même les a mariés il y a trois ans. Juste avant la bataille de Badr, ici, dans notre cour. Je le sais, j’étais là.
— Si tu te tais et me laisses dire, soupira Barrayara, tu sauras ce qu’il en est. Ce soir, Zaïnab bint Dah’sh ne sera plus l’épouse de Zayd. Il l’a répudiée selon les lois d’Allah.
Barrayara avait obtenu notre silence sidéré. Nous connaissions la beauté de Zaïnab. Tous, dans Madina, avaient entendu un homme parler d’elle en roulant des yeux de singe :
— Il n’est de Dieu que Dieu. Un jour, l’envie lui est venue de créer la perfection dans un corps de femme. Des orteils aux oreilles, des sourcils aux paumes, sans parler du reste, il l’a faite, et il l’a appelée Zaïnab bint Dah’sh !
Évidemment, Barrayara en savait plus :
— Depuis toujours, Zaïnab est dévorée de passion pour l’Envoyé. Et lui le sait. C’est pourquoi il a demandé à Zayd de la prendre pour épouse. Il espérait faire ainsi le bonheur de son fils adoptif et apaiser l’ardeur de Zaïnab. Et peut-être sa propre tentation, qui sait ? Mais la passion d’une femme est comme une crue d’automne. Les petites pierres des chemins ordinaires ne la détourneront jamais. Un jour de l’été dernier, le Messager a visité la maison de son fils adoptif, croyant y trouver Zayd. Seule la belle Zaïnab était là. Au premier regard échangé entre l’Envoyé et Zaïnab, l’incendie du désir est monté
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