Aïcha
dans l’oasis en sortant des vallées sont si étroites que dix chameaux de front se gêneraient. En outre, des roches de basalte encombrent les chemins : impossible de galoper sans risque. Il te suffira de cent archers pour clore chacune de ces issues. Pas un mécréant n’osera s’y montrer. Les Mekkois ruissellent d’orgueil à cause de leur nombre. Ils s’imaginent nous affronter en une ligne de front de mille combattants. Pour cela, il leur faut une vaste plaine. Il n’y en a qu’une, au nord. Allah est grand. Il l’a voulu ainsi depuis la naissance du monde.
Omar applaudit, comme tous ceux qui portaient cuirasse autour de lui.
Selman ajouta :
— Il reste une chose. Ne laissez pas la moindre datte ni la moindre fève dans la plaine. Les Mekkois ne doivent rien trouver, pas même une paille, qui puisse les alimenter, eux et leurs bêtes. Dix mille combattants, cela constitue à la fois une force et une faiblesse. Ce sont autant de bouches et de ventres qu’il faut nourrir et abreuver matin et soir. Hommes ou animaux, nul ne va au combat le ventre vide et la bouche sèche.
Quand le Perse se tut, le sourire était sur tous les visages.
Avant le soir, les ordres furent répandus dans les maisons des Croyants :
— Les hommes creuseront le fossé. Les femmes s’occuperont des récoltes dans les champs que fouleront les Mekkois. Tout doit disparaître ! Qu’ils mâchent de la poussière !
La langue claquante de plaisir, Barrayara ajouta :
— L’Envoyé m’a dit lui-même : « Va vers mes épouses. Dis-leur que j’ai besoin d’elles toutes. La règle du hidjab est levée aussi longtemps que nécessaire. »
Chacun le comprit : un ange d’Allah veillait désormais sur Madina. Il n’y eut que les hypocrites d’‘Abdallâh ibn Obbayy et les Banu Qurayza, le puissant clan juif de l’oasis, pour en douter. Ceux-ci étaient si convaincus de l’issue de la bataille à venir qu’ils laissèrent leur haine éclater. Ils installèrent même une tente près du fossé que creusaient nos hommes pour mieux se moquer d’eux. Omar voulut les chasser. L’Envoyé le retint :
— Chaque chose en son temps, compagnon. Endurons leurs moqueries comme Allah s’en régale. Chacune est une braise ajoutée au châtiment qui viendra en son heure.
Les Croyants prirent si bien l’habitude d’ignorer les sarcasmes tandis qu’ils creusaient la terre que les douteurs et les hypocrites finirent par se taire.
Notre labeur au creusement du fossé et au nettoyage des champs dura dix-neuf journées et presque autant de nuits. Le compte exact du temps qui nous séparait de l’anniversaire de la bataille de Badr. À peine les charrues et les pelles furent-elles remisées et les cuirasses enfilées que la nuée des coalisés s’aligna devant nous.
Allah le sait. Bien que la confiance nous fût revenue devant le travail accompli, nos cheveux se hérissèrent sur nos nuques et nos ventres se tordirent d’effroi devant ces milliers de guerriers qui hurlaient en nous promettant la plus terrible des morts.
Pas pour longtemps.
Quand cette coalition de païens, de Juifs et de mécréants approcha, ses étendards colorés claquant au vent, l’on entendit le rire de l’ange de Dieu résonner dans le ciel de Madina.
Et ce qui arriva fut si étrange que mon souvenir est pareil à un rêve.
Je vois Abu Sofyan qui s’approche de Madina à la tête de ses guerriers. Comme le Perse Selman l’a prévu, il a tout misé sur la grande plaine du nord. Depuis le haut de nos murs crénelés, nous apercevons la multitude de nos ennemis qui avance, armes et cuirasses lançant des éclats sous le soleil à son zénith. Eux aussi nous voient. Ce qu’ils ignorent encore, c’est l’existence du fossé.
Dans la chaleur, la poussière se soulève aussi bien que du vent. Abu Sofyan est impatient. Il ordonne à ses milliers de cavaliers de former une ligne. Cela prend du temps. Il en profite pour envoyer des éclaireurs mesurer nos forces et la disposition de nos guerriers sous nos murs. Les éclaireurs n’entrevoient que trois cents ou quatre cents archers. Enhardis, ils s’approchent encore.
Et ils découvrent le fossé.
Ils n’en croient pas leurs yeux. Ils le longent. Une pluie de flèches siffle dans le ciel, tirée depuis nos murs.
Ils courent annoncer la nouvelle aux Mekkois.
Abu Sofyan, les Juifs de Khaybar et cinq cents cavaliers galopent jusqu’au fossé, hurlant tels des démons. Sur
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