Aïcha
qu’il ne nous reconnaisse pas ! s’exclamaient-ils. Allah voit par ses yeux. Il nous jugera !
Terrifiés à l’idée de subir la vengeance d’Allah et de Son Prophète, ils se barricadaient dans leurs maisons tels des lézards sous les pierres. L’Envoyé laissait faire. C’était le mois du jeûne. Chacun savait que le sang ne devait pas couler avant la prochaine lune.
Quand la fin du jeûne approcha, Omar répandit la rumeur qu’Allah et Son Messager se satisferaient de seulement faire rouler la tête d’ibn Obbayy. Depuis Uhud, il n’avait cessé de se moquer de Dieu, même quand les Croyants sincères creusaient le fossé qui avait sauvé Madina des guerriers d’Abu Sofyan.
La veille de la rupture du jeûne, dans la lumière du crépuscule, le fils d’ibn Obbayy se présenta dans notre cour. Il alla sans hésiter sous le tamaris s’incliner devant Muhammad.
— Ô, Apôtre d’Allah, tu me connais. Tu lis dans mon coeur, et Allah aussi. Je Lui appartiens par toutes les parcelles de mon corps et de ma pensée. Le fils ne ressemble pas toujours au père. Mon père t’a donné plus de raisons de colère qu’il n’en faut. Hypocrite, il l’est. Et jaloux. Avant ton arrivée dans l’oasis, les habitants de Madina voulaient en faire leur prince. Ta venue a ôté la couronne de sa tête et l’honneur qui va avec.
— S’il avait été sincère, Dieu l’aurait pourvu des deux en abondance, répliqua Muhammad. Mais le doute et l’hypocrisie souillent sa bouche.
Le fils d’ibn Obbayy approuva ces mots avec sincérité.
— Je le sais, dit-il. Comme je sais que son coeur ne sera jamais purifié de son incrédulité. Omar ibn al Khattâb le répète partout : mon père doit mourir.
— Omar dit vrai, mais je ne tuerai pas ton père. Les infidèles en profiteraient pour clamer partout que je tue même mes propres compagnons.
— Alors, permets à ma main de s’en charger, Apôtre de Dieu ! Ce serait le geste d’un fils juste envers un père impie. En outre, si une autre main que la mienne l’abattait, notre loi m’ordonnerait de tuer son meurtrier. L’injustice se poursuivrait : un Croyant d’Allah mourrait pour un hypocrite.
L’Envoyé s’étonna de ces mots. Il se leva et embrassa le fils d’ibn Obbayy.
— Ton père ne mourra pas par ma volonté, lui dit-il. Je lui pardonne, et Allah avec moi. Cela grâce à ta droiture. Viens, allons prier ensemble.
Plus tard, Barrayara apprit par mon père que Muhammad avait dit à Omar que, s’il avait tué cet hypocrite d’ibn Obbayy selon son voeu, nous aurions aujourd’hui honte face à son fils. Ce qu’Omar avait approuvé.
Ils ignoraient tous que, si la vermine d’un coeur de père ne passe pas dans le coeur de son fils, le père n’en demeure pas moins pourri tant qu’il est debout. Et moi, Aïcha, Mère des croyants, je fus la première à en subir la souillure.
2.
Ô, toi qui me lis, femme ou homme, je te dois une vérité. Allah la connaît depuis longtemps déjà.
Dès le premier matin où j’ai serré le calame entre mes doigts pour couvrir de mes souvenirs ces rouleaux de mémoire, il n’est pas de jour où je n’ai pensé à ce que je vais te raconter maintenant. Peut-être même ne me suis-je assise devant la planche à écrire que pour me purifier de cette pestilence qui a marqué mes jours ?
Cela s’est passé il y a tant d’années. La plaie, mille et mille fois, aurait pu se refermer. Mais non. La colère me serre la gorge comme au premier instant. En un clin d’oeil, elle fait de moi celle que j’étais. Plus de vieux muscles, plus de vieille peau, plus de douleurs de l’âge, de maladies de vieille ! Plus d’yeux qui transforment les jours en brouillard et se refusent à voir la transparence du ciel ! Tout redevient aussi neuf en moi qu’en ces jours où je n’avais pas encore vingt ans. Je ressens une fois encore la rage d’un fauve devant l’injustice.
Ma main reste noueuse et craintive devant ce qu’elle va inscrire avant que le Tout-Puissant ne décide de me juger.
Mais à quoi bon tergiverser ?
3.
Les temps qui suivirent la bataille du fossé ne ressemblèrent à aucun de ceux que nous avions connus. Sous le tamaris comme du haut de l’escalier de la masdjid, l’Envoyé répétait :
— Allah a repoussé les dix mille mécréants, car Il nous veut plus de dix mille devant Mekka. Cela doit arriver avant que Son Prophète ne soit plus en âge de chevaucher en
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