Aïcha
accompagner notre époux quand il marcha sur les Benî-Moçtaliq. Et arriva ce qui arriva : la calomnie.
Dédaignée
1.
La nouvelle rumeur atteignit notre cour après la prière du matin : des païens se réunissaient en grand nombre aux puits des Benî-Moçtaliq, à cinq jours de marche de Madina. Omar et Ali convainquirent l’Envoyé d’aller à leur rencontre sans tarder. Nous quittâmes Madina à l’aube suivante. Ibn Obbayy qui, depuis la discussion entre son fils et l’Envoyé, s’était montré respectueux, en était, les Benî-Moçtaliq le considérant comme un sage.
Notre caravane n’était pas bien grande. Muhammad n’avait voulu s’entourer que de deux ou trois cents hommes en cuirasse.
— Cela suffira, avait-il dit.
C’était si vrai que, dès l’approche des puits, on sut qu’il aurait pu marcher seul contre ces mécréants. Apprenant sa venue, ils s’étaient dispersés en hâte, fouettant les flancs de leurs méharis pour s’en retourner le plus vite possible d’où ils venaient.
Ali chevauchait aux côtés de Muhammad. Frustré par ce combat manqué, il galopa seul à la suite des Benî-Moçtaliq en fuite. Il revint au crépuscule avec l’un des chefs païens. Il le jeta pieds et poings liés devant l’Envoyé, assis sur son tabouret devant notre tente. J’étais à l’intérieur avec deux servantes quand j’entendis mon époux s’exclamer :
— N’avez-vous pas honte de fuir alors que vous êtes en si grand nombre ?
— À quoi bon te combattre, Messager d’Allah ? Si ton Dieu décide de la victoire, nos nimcha et nos lances n’y changeront rien.
— Alors, pourquoi être venus jusqu’ici ?
— Les Mekkois n’osent plus t’affronter. Ils exigent que nous le fassions à leur place. Si nous n’obéissons pas, ils nous refuseront le droit de vendre nos marchandises au grand marché de Mekka. C’en serait fini de notre commerce. Ils ont ajouté qu’ils nous empêcheraient d’entrer dans la Ka’bâ pour tourner autour de la sainte Pierre Noire.
— Cochons de païens ! Chacun de vos pas dans la Ka’bâ souille la Pierre de Dieu ! Abstenez-vous d’y prier tant que vous ne vous soumettrez pas aux paroles d’Allah, car Il se souviendra de votre boue au jour du jugement !
— En ce cas, Ô Muhammad ibn ‘Abdallâh, hâte-toi de me tuer ! implora le chef païen. Que mes fautes ne s’accumulent plus, si ce que tu dis est vrai !
— Je vais te laisser en vie. Ainsi, tu songeras à la grâce que le Messager d’Allah t’accorde et tu répéteras mes paroles à ceux qui t’importent. Tu leur diras : « L’Envoyé de Dieu n’abat pas sa lame pour le plaisir de voir le sang et les têtes coupées. Son Dieu, le Clément et Miséricordieux, châtie les fautes autant qu’il les pardonne. Il préfère les vivants aux morts et n’a pas créé le monde pour qu’il ressemble à la fosse d’un cimetière. »
Malgré les protestations d’Ali, le païen fut lié à la selle d’un chameau avec une gourde et le chameau, fouetté, envoyé sur la route de Mekka. Après quoi, les Benî-Moçtaliq revinrent nous offrir un festin. Le repas dura tard dans la nuit. Il n’était plus loin d’être achevé quand une femme des Benî-Moçtaliq s’approcha.
— Ô Apôtre d’Allah, s’écria-t-elle, mon nom est Djouwaïrya bint Hârith. Veux-tu écouter ma plainte ?
Il y eut quelques cris pour lui ordonner de se retirer et d’attendre le lendemain, mais Muhammad l’invita à parler. Aussitôt, elle expliqua qu’elle n’était pas une vraie Benî-Moçtaliq, mais une esclave prise au combat. Celui qui l’avait reçue en butin usait d’elle comme d’une épouse, mais la battait et l’humiliait dès qu’il lui en prenait l’envie.
— Ô Apôtre de Dieu, dit-elle, partout dans le Hedjaz la rumeur assure que tu te soucies de la justice, pour les femmes autant que pour les hommes. Je ne supporterai pas longtemps le traitement que m’inflige celui qui m’a réduite en esclavage. Avant d’être vaincu par les Benî-Moçtaliq, mon père était un homme de grande dignité. Sa fille sera mieux morte auprès de lui que livrée, chaque jour, à la souillure de son nom. Si, parmi ta troupe, tu connais un homme doux qui accepterait de payer le prix de ma liberté, choisis-le pour moi. Pour le restant de ses jours, il n’aura pas de plus fidèle servante. Sinon, c’est avec joie que j’accueillerai une lame sur ma gorge.
À cause de la
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