Aïcha
d’autre. Comment demander pardon à Dieu d’être innocente ? Comment se repentir de ce qui n’a pas été commis ? Mais qu’importe ! Toi, mon époux qui m’as prise quand j’avais l’âge de jouer à la poupée, toi qui m’as faite ce que je suis, tu doutes. Je pourrais parler six nuits de suite que tu douterais encore ! Ibn Obbayy le puant peut être satisfait. Qu’Allah te pardonne et t’éclaire ! Que Sa miséricorde vienne sur toi, car tu n’en as plus pour distinguer le haut du bas. Laisse-moi seulement dire, comme le prophète Joseph : « La patience est ce qui vaut le mieux. Que Dieu me vienne en aide [27] !»
Ensuite, il ne tira plus un mot de moi. Ni mon père, qui s’effrayait de mon ton et de mes reproches.
Et puis, le surlendemain, Muhammad fut de nouveau là.
— J’ai passé la nuit devant ta couche vide, ô Aïcha. Mon frère Djibril a entendu le trouble qui me tourmentait. Il est venu. Il m’a lancé les paroles de mon Rabb : « La calomnie rampe parmi vous dans le petit nombre, mais forte. Ce n’est pas un mal, mais un bien. Ainsi se séparent le grain et l’ivraie. Le calomniateur connaîtra sa part de récompense en tourments. Plus grand le coupable, plus grand le tourment. Quant aux hypocrites qui auraient dû dire au premier mot du ragot : “C’est une calomnie évidente, Dieu ne la permet pas !”, eux aussi devraient recevoir le châtiment si Allah ne portait sur vous Sa miséricorde [28] . » Ô mon miel ! Aïcha, tu es innocente et pas un ne pourra plus en douter.
Ma mère applaudit.
— Ah, je le savais !
Moi je dis :
— Trop peu pensaient le savoir. Et je rends grâce à Dieu et non à toi, mon époux, car tout le mal qui m’a été fait, tu l’as laissé faire. Les mots contre moi, tu ne les as pas brisés. Et la vilenie de l’adultère, tu l’as pensée.
Mon père se précipita pour me faire taire :
— Aïcha ! Aïcha ! Que ta langue soit arrachée ! Tu parles au Prophète d’Allah !
Mon époux me baisa les lèvres comme s’il revenait d’un très long voyage.
— Abu Bakr, dit-il, ta fille a gagné le droit au reproche. Et plus encore.
6.
Oh, soudain le bien ! Et enfin les châtiments où ils devaient s’abattre.
L’Envoyé parla du haut de l’escalier :
— Aïcha est innocente. Désormais, il faudra réunir pas moins de quatre témoins si vous voulez accuser d’adultère, ou vous serez des menteurs devant Allah [29] …
Ibn Obbayy le puant demeura seul dans sa maison, sans personne qui ose lui apporter de la nourriture.
Ali courba la nuque.
Omm Salama baissa la tête.
Zaïnab mourut avant la venue de l’hiver.
Oh, la colère d’Allah !
Mais la paume de mon époux…
Cinquième rouleau
Gloire de mon très-aimé époux
Dicté par Aïcha bint Abi Bakr en l’an 58 AH
1.
Femme, homme, toi qui lis ce rouleau, tu le constates : l’écriture est nouvelle, elle n’est plus de moi.
Je parle, ce sont mes mots, mais c’en est fini des mauvaises lettres que tu as dû déchiffrer jusque-là. La main qui tient le calame est celle de Zama’a Bint Talha, bénie soit-elle par le Tout-Puissant pour ses jours de soleil et d’ombre !
Sois-en heureux. Ces lignes, sous tes yeux, ne sont-elles pas incomparablement plus belles que les miennes ? Et si tu pouvais voir Zama’a, que dirais-tu !
Que je te la décrive. Elle a vingt-cinq ans. Des cheveux sombres comme le fond des sources. Des lèvres claires comme le ciel de l’aube et une nuque que Dieu seul a pu dresser un jour de grand espoir.
Au temps de son enfance, je la tins serrée contre ma poitrine sèche et la fis rire dans mon cou. Plus d’une nuit, elle me fit trembler de regret. Si Dieu m’avait permis d’enfanter, oh le bonheur que j’aurais eu à donner la vie à une perfection pareille !
En l’an 38 après l’hégire, sa mère rejoignit le paradis d’Allah. Qu’elle y demeure pour l’éternité ! Longtemps ensuite, j’assis Zama’a contre mes cuisses pour lui apprendre ce que son père, le très fidèle Talha, m’avait enseigné à moi-même. Aujourd’hui, Zama’a en sait plus que je n’en ai jamais su des écritures anciennes. Et ils sont innombrables, ceux qui attendent une copie du Coran calligraphiée de sa main pour le lire et le chérir jusque dans leur tombe.
Qu’ils me pardonnent, ils attendront encore. Et, si Dieu le veut, leur tombe attendra d’autant.
Donc nous voici. Moi, la vieille Aïcha bint Abi Bakr,
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