Aïcha
moins en deux occasions la lecture fausse qu’il faisait des propos de mon époux.
— Ah, quelle tristesse pour notre bien-aimé nâbi d’avoir pareille épouse ! disait-il en pleurant. Sa jeunesse n’excuse pas tout. Mais les femmes sont ainsi faites : elles ne résistent jamais longtemps aux démons qui s’agitent entre leurs cuisses.
Hafsa me dit :
— Ô Aïcha, ma soeur, je ne sais plus que faire. Nous ne sommes pas dix à te défendre ! J’ai supplié notre époux de ne pas croire Zaïnab et sa soeur. Je lui ai assuré que tu étais dans ma couche tous ces soirs. Que, pour nous consoler de son absence, nous nous serrions l’une contre l’autre. Il a baissé les paupières sans répondre. Il ne se passe pas un jour sans que l’un ou l’autre lui mente en lui affirmant que tu as ouvert tes bras à Safwan. Il en est même pour prétendre que tu l’as fait contre le mur de la masdjid du Jabal Sal.
C’est alors que je me suis décidée.
Un jour, Muhammad me demanda de lui laver les cheveux, comme je le faisais toujours, sur le seuil de ma chambre donnant sur la mosquée. Je lui répondis :
— Ô Apôtre de Dieu, je ne le puis. Je suis très malade. Rien ne rentre ni ne sort plus de moi. Allah doit douter de moi. Il n’est pas saint que je caresse ta tête. Il se pourrait même que ce qui m’atteint infecte cette chambre, dont l’air est le même que celui de la sainte masdjid. Permets que j’aille me soigner, ou dépérir, chez mon père et ma mère.
Muhammad me jeta un bref coup d’oeil avant de me tourner le dos en disant :
— Fais comme tu le veux.
Je le fis.
Une fois dans le quartier de ma mère, je dis :
— On insulte ta fille dans tout Madina. Ibn Obbayy crache sur moi, tes esclaves me calomnient, et toi, tu ne me préviens pas ?
Ma mère leva les yeux au ciel et soupira :
— Inch Allah ! Ne fais pas tant de bruit. Il en va toujours ainsi quand une femme jeune et belle doit partager le coeur de son époux avec d’autres épouses. Patiente. Cela passera.
Sa réponse m’emplit de dégoût.
À mon père je fis le même reproche :
— Tu es aussi proche de mon époux que l’est son manteau et tu ne trouves rien à redire quand je subis les ignominies du mensonge ?
— Ce n’est pas à moi de te défendre de ce que j’ignore. Allah fera ce qu’il faut s’il le faut.
Pourquoi étais-je venue me réfugier chez eux ?
Je décidai de ne plus prendre aucune nourriture. C’était une résolution que je saurais tenir jusqu’au jugement de Dieu. Lui et Son Envoyé le savaient. Je l’avais déjà prouvé.
Dix jours passèrent. Puis, enfin, Barrayara ouvrit la bouche :
— Tais-toi, commença-t-elle en s’agenouillant près de moi. N’élève pas la voix contre moi. Tu es trop faible pour te laisser aller à la colère. Cela t’épuiserait. Et pour rien. Je ne suis pas venue plus tôt parce que, pour comprendre et agir, il faut tout savoir de ces choses-là. Et ton père est fermé sur le sujet comme un coffre d’avare.
Après quoi, elle me raconta que le puant m’avait tant calomniée dans Madina que mon époux était monté à l’escalier de la mosquée pour dire que personne, dans sa famille, ne se comportait indignement.
— Mais il l’a dit comme quelqu’un qui doute, soupira Barrayara. Alors les menteurs et les fourbes se sont déchaînés encore plus. Sous le tamaris, ton père a dit : « Envoyé, ne laisse pas la pestilence devenir vérité. Interroge tous ceux en qui tu as confiance. » Alors ton époux m’a appelée, moi, la première. Et je lui ai dit : « Ton épouse Aïcha est une source si transparente que tu peux y plonger chaque matin sans jamais parvenir à la troubler. Moi, j’ai des choses à lui reprocher. Jamais je n’ai vu pire femme à la cuisine. Ni plus têtue dans son orgueil. Mais je doute que cela te concerne, ô Messager d’Allah. »
Barrayara riait encore de ses bons mots, si bien qu’une grimace de sourire me vint. Cela faisait si longtemps !
Barrayara ajouta :
— Un qui t’aime autant que moi, et cela va te surprendre, c’est Omar. À l’Envoyé qui le questionnait, il a répondu : « Aïcha, ton épouse, est pleine de défauts, mais elle est droite, et entièrement. Je sais discerner le mensonge. Je ne l’ai jamais reniflé sur les lèvres de la fille d’Abu Bakr. Ni d’ailleurs sur celles de ma fille Hafsa, Allah m’en est témoin. Si Hafsa te dit : “Je dormais
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