Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
première séance de pose sur un cheval de bois, puisque le grand Apelle avait décidé de commencer par le sujet le plus difficile.
" Demain, je me rendrai dans les écuries et me ferai amener Bucéphale: il devra poser, lui aussi, pour moi, affirma le peintre en lançant un regard de complaisance au mannequin en bois rembourré qu'un artisan du thé‚tre avait exécuté à la demande d'Eumène.
--Alars je te conseille de passer chez mon cuisinier pour te munir de biscuits au miel. Tu obtiendras ainsi ses faveurs ", suggéra Alexandre.
Le maître de table vint annoncer que le repas était prêt. Apelle était en train de terminer l'esquisse d'ensemble. Alexandre mit pied à terre, il s'approcha du peintre. " Puisje regarder ?
--Je ne peux te l'interdire, sire, mais les artistes n'aiment pas montrer leurs ceuvres inachevées. "
Le souverain jeta un coup d'oeil au grand tableau. Son humeur changea brusquement. Le peintre n'avait tracé au fusain que les lignes essentielles, au moyen de traits ràpides. Il ne s'était attardé que sur quelques détails: les yeux, quelques mèches de cheveux, les mains, les naseaux dilatés de Bucéphale, ses sabots martelant le sol...
Apelle guettait ses réaetions.
" Ce n'est pas terminé, sire, il s'agit seulement d'une esquisse. Les couleurs et les volumes changeront tout... "
Alexandre l'interrompit d'un geste de la main: " C'est déjà un chef-d'oeuvre, Apelle. Tu às donné le meilleur de toi-même dans cette ébauche.
On peut imaginer le reste. "
Ils gagnèrent ensemble la salle du banquet o˘ les atten daient les notables de la ville, les chefs des collèges sacerdo taux et les compagnons du roi. Souhaitant donner aux …phé siens une bonne image de ses amis et de lui-même, Alexandre avait banni tout excès: les "
compagnes " des invités se contentèrent de jouer de la musique, de danser et de se livrer à des jeux innocents, et l'on servit du vin à la grecque, dans trois parts d'eau.
Du fait de leur immense renommée, Apelle et Lysippe furent au centre des conversations.
" J'ai entendu une histoire très curieuse ! s'écria Callisthène en s'adressant à Apelle. A propos du partrait que tu as exécuté pour le roi Philippe.
--Ah oui, répondit Apelle. Eh bien, raconte-moi cette his toire, car je ne m'en souviens plus. "
Toute l'assistance éclata de rire.
" Bon, reprit Callisthène, je vais la relater de la façon dont je l'ai apprise. Un jour, le roi Philippe te commande un portrait destiné au sanctuaire de Delphes, mais il te dit: "Embellis moi un peu... euh, dissimule mon oeil malade, augmente ma taille, noircis-moi les cheveux, sans exagérer bien s˚r, mais tu comprends. .."
--J'ai l'impression de l'entendre, ricana Eumène en imi tant la grosse voix de Philippe. "quoi ? j'appelle un grand peintre, et je dois tout lui expliquer ?"
--Ah, oui, je m'en souviens maintenant, s'écria Apelle en riant de bon coeur. Ce sont les mots exacts qu'il a prononcés !
--Alors, continue donc ce récit, pria Callisthène.
--Non, non, je préfère l'écouter.
-- S'il en est ainsi... Bon, le maître achève son portrait et l'installe dans la cour, en pleine lumière, afin que son illustre client puisse l'admirer. Ceux d'entre vous qui sont allés à Delphes l'ont sans doute vu: un tableau d'une beauté, d'une splendeur... Le roi était représenté avec sa couronne d'or, son manteau rouge et son sceptre, on aurait dit l'image du grand Zeus. "Cela te plaît-il, sire?" interroge Apelle. Philippe examine le tableau d'un air peu convaincu. "Doisje te dire le fond de ma pensée ?" lui demande-t-il. "Bien s˚r, sire", affirme le peintre. "Eh bien, je trouve qu'il n'est pas ressemblant."
--C'est vrai, c'est vrai ! approuva Apelle sans cesser de rirj A~ ec des cheveux plus noirs, une barbe plus soignée, un teint plus rose, il ne s'était pas reconnu.
--Alors ? interrogea Eumène.
--Voici le plus beau de l'histoire, poursuivit Callisthène, si tant est qu'elle est vraie. C'est alors que passa dans la cour un palefrenier qui tenait par les rênes le cheval du roi. L'animal s'immobilisa devant le tableau, il se mit à agiter la queue, à secouer la tête et à hennir bruyamment, à la grande stupeur de l'assistance. Regardant tour à tour le roi, le cheval et le tableau, Apelle s'exclama: "Sire, puisje te dire, moi aussi, le fond de ma pensée ?" "Bien s˚r, par Zeus !" répond ce dernier.
"Eh bien, je regrette, sire, mais je crains que ton cheval ne s'y connaisse mieux
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