Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
Voilà, commença le roi tandis que ses invités se servaient je voudrais un monument qui soit édifié en l'honneur des vingt-cinq hétairoÔ de la Pointe tombés sur le Granique au cours de la première attaque contre la cavalerie perse. J'ai ordonné qu'on exécute leurs portraits avant qu'ils soient pla cés sur le b˚cher funèbre, car je désire qu'ils soient ressem blants. Tu les représenteras dans la fureur de la charge, dans l'ardeur du combat. Il faut que l'ensemble se rapproche de la réalité, et que l'on ait le sentiment d'entendre le halètement de
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leurs chevaux, le martèlement de leur galop. Il ne manquera à ces formes que le souffle vital... que tu ne peux, hélas, encore leur donner. "
Il baissa la tête. Un voile de mélancolie tomba sur ses yeux, alors qu'il se trouvait au milieu de la liesse générale~ au milieu des coupes qui débordaient de vin et des plats remplis de mets parfumés.
" Lysippe, mon ami. . . ces jeunes gens sont réduits à l'état de cendres, et leurs os gisent sous la terre. Capture donc leur ‚me frémissante, saisis-la avant que le vent ne l'emporte tout à fait, fonds-la dans le bronze, rends-la éternelle ! "
Il s'était levé et gagnait à présent l'embrasure d'une fenêtre qui donnait sur la baie scintillante. …chauffés par le vin, ses invités mangeaient, buvaient et plaisantaient. Lysippe le rejoignit.
" Vingt-six statues à cheval... la troupe d'Alexandre sur le Granique. Un enchevêtrement de membres et d'échines puis santes, de bouches grandes ouvertes et préparant le cri de la gue~Te, de bras brandissant le glaive et la lance, voilà ce que je veux. Me comprends-tu, Lysippe ? Comprends-tu ce que je veux te dire ?
" Tu érigeras ce monument en Macédoine afin qu'il célèbre éternellement ces jeunes gens qui ont sacrifié leur vie pour le pays, dans le mépris d'une existence obscure et sans gloire.
" Je veux que tu verses dans le bronze ta propre énergie vitale, je veux que ton art accomplisse le plus grand miracle qu'on ait jamais vu. Les gens qui passeront devant ce monu ment devront frissonner d'admiration et d'effroi, comme si ces cavaliers s'apprêtaient à charger, comme si leurs bouches allaient délivrer le cri qui dépasse la mort, qui franchit les brumes de l'Hadès dont personne n'est jamais revenu. "
Lysippe le regardait sans mot dire, abasourdi. Ses grosses mains calleuses pendaient le long de son corps, inertes et comme impuissantes.
Alexandre les serra dans les siennes. " Ces mains peuvent accomplir ce miracle, je le sais. Il n'existe pas de défi que tu ne puiSses relever, il suffit pour cela que tu le veuilles. Tu me res t~ ~ .sembles~ Lysippe, voilà pourquoi aucun autre sculpteur ne pourra jamais exécuter ma statue.
Sais-tu ce qu'a dit Aristote le
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ALEXANDRE LE GRANn; a ES SABLEs D AMMON 379
jour o˘ tu as terminé mon premier portrait, dans notre retraite de Miéza?
Il a dit: "Si Dieu existe, il a les mains de Lysippe." Acceptes-tu de modeler mes compagnons dans le bronze ? r~
--Oui, Alexandre, et cette oeuvre remplira le monde de st~ peur. Je te le jure. " .
Alexandre hocha la tête et lui lança un regard plein d'affe~ tion et d'admiration. ~
" Et maintenant, viens, lui dit-il en glissant son bras sous }e sien.
Mange quelque chose. " . ~
Apelle se présenta le lendemain après-midi avec une impor tante suite d'esclaves, de femmes et d'enfants de fort bel aspect. Il portait des colliers d'ambre et de lapis-lazuli, ainsi que des vêtements aux couleurs vives qui lui donnaient une allure élégante et légèrement excentrique. On disait que Théophraste avait écrit un petit livre satirique, intitulé Les Caractères, qui s'inspirait justement d'Apelle en ce qui concer nait l'exhibitionnisme.
Alexandre le reçut dans ses appartements privés. Le peintre était venu en compagnie de la belle Campaspé, qui arborait encore des péplos de jeune fille car c'était la seule façon pour elle de dénuder largement ses épaules et sa poitrine.
" Je te trouve en excellente santé, Apelle, et je suis heureux de constater que la splendeur de Campaspé est encore une source d'inspiration pour toi. Peu d'hommes ont le privilège de vivre auprès d'une telle muse. "
Le visage de Campaspé s'empourpra. Elle s'apprêtait à bai ser la main d'Alexandre quand il écarta les bras-et la serra contre sa poitrine.
" Tes bras sont toujours très forts, sire, lui murmura-t-elle à l'oreille d'une voix qui aurait réveillé le
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