Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
vaisseau amiral, sur lequel le marin abattit sa rame. " Un message pour le commandant Memnon.
--Attends, répondit l'officier de garde. Je t'envoie une échelle "
Un peu plus tard, l'homme montait à bord en utilisant l'échelle de corde qu'on lui avait jetée de la muraille, et deman dait à être conduit auprès du chef suprême.
L'officier de garde le fouilla avant de le faire entrer dans le ch‚teau de poupe, o˘ Memnon rédigeait les lettres et lisait les rapports que lui adressaient les gouverneurs et les comman dants des garnisons perses demeurés fidèles au Grand Roi, ainsi que les informateurs qu'il possédait dans toute la Grèce.
" J'ai un message pour toi, commandant ", annonça l~homme en lui tendant un rouleau de papyrus.
Memnon vit à son sceau qu'il venait de son épouse. Il n'avait encore rien reçu d'elle depuis le jour de leur séparation.
<( Y a-t-il autre chose ? interrogea-t-il.
--Non, commandant. Mais si tu désires me confier une répOnse~
j'attendrai.`
--Alors, va voir le maître d'équipage et fais-toi donner à boire et à
manger si tu en as envie. Je t'appellerai dès que j'aurai terminé. "
Resté seul, Memnon ouvrit la missive en tremblant.
Barsine à Memnon, son époux adoré, salut !
Mon bien-aimé, au terme d'un long voyage nous sommes arrivés, sains et saufs, à Suse, o˘ le roi Darius nous a accueillis avec de grands honneurs.
On nous a attribué une aile du palais, des domestiques et des servantes, ainsi qu'un jardin d'une merveilleuse beauté un pairzdaeza rempli de fleurs colorées, de roses et dé cyclamens au parfum intense, de bassins et de fontaines o˘ nagent des poissons rouges et bleus, d'oiseaux du monde entier, de paons et de faisans issus de 1 Inde et du Caucase, de guépards apprivoisés, venus de la lointaine
Notre condition serait enviable si tu n'étais pas si loin Ma chambre est trop grande et trop froide.
Il y a deux nuits, j'ai ouvert le livre des tragédies d'Euripide que tu m'as offert, et j'ai lu Alceste, les larmes aux yeux. J'ai pleuré, mon époux, en songeant à cet amour héroÔque que le poète a si bien décrit, et j'ai été particuliè rement frappée par le passage o˘ l'homme promet à sa femme, qui marche vers la mort, qu'aucune autre ne la remplacera. Il lui dit qu'il commandera un portrait d'elle à un grand artiste et qu'il le mettra dans son lit, à ses côtés.
Oh, si je pouvais faire de même ! Si ie pouvais faire appel à un grand artiste, un des maîtres yauna de l'envergure de Lysippe ou d'Apelle, et lui demander de sculpter ton image ou de peindre ton portrait, pour le placer dans mes appar tements, au coeur de ma chambre I Depuis que tu es loin, mon époux adoré, je comprends la signification de votre art, la puissance troublante avec laquelle vous autres yauna représentez la nudité des dieux et des héros.
J'aimerais pouvoir contempler ton corps nu, f˚t-il seule ment une statue ou un portrait, puis fermer les yeux, ima giner qu'un dieu décide de donner vie à cette image qui sortirait alors de son tableau, descendrait de son piédéstal, et s'allongerait à mes côtés comme le jour o˘ nous jouîmeS
ensemble pour la dernière fois, qui me caresserait avec tes mains, m'embrasserait avec ta bouche.
Mais la guerre t'éloigne de moi, la guerre et son cortège de deuils, de pleurs et de destructions. Reviens-moi~ Memnon, laisse à un autre le commandement suprême des
armées de Darius. Tu en as déjà assez fait, personne ne te bl‚merait, tout le monde vante tes exploits danS la défense d'Halicarnasse. Reviens-moi, mon doux époux, mon magnifique héros. Reviens-moi car toutes les richesses du monde ne valent pas un seul instant dans tes bras.
Memnon referma la lettre et se leva. Il s appuya contre le astingage. Les lumières de la ville scintillaient légèrement tans le soir paisible, et les cris des enfants, qui jouaient à ache-cache dans les rues sombres et sur les places en profi ant de l'ultime tiédeur de l'automne, parvenaient jusqu'à lui. On entendait aussi, mais plus loin, le chant d'un jeune homme
--une sérénade pour sa bien-aimée, dont le visage s~empour prait peut-être dans la pénombre.
Il se sentit envahir par une immense mélancolie, par une énorme lassitude mais les responsabilités qui pesaient sur lui et l'estime qué lui portaient nombre de ses soldats lui interdi saient de s'abandonner à ce sentiment.
Il avait appris que ses guerriers irréductibles, retranchés sur
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