Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
porteur peut se lever, erl pleine assem blée, pour demander qu'une mesure déjà approuvée par le
gouvernement de la cité soit retirée, s'il existe un nombre de personnes suffisant pour soutenir sa motion.
" En …gypte, en Perse et en Macédoine, il n'y a qu'un homme libre: le roi. Tous les autres sont des esclaves.
--Mais les nobles.. ., tenta d'intervenir Alexandre.
-- Les nobles aussi. Certes, ils ont plus de privilèges, jouissent d'une vie plus agréable, mais ils doivent eux aussi obéir. "
Aristote se tut, car il avait remarqué que ses mots avaient fait mouche, et il voulait qu'ils résonnent dans l'esprit du garçon.
" Tu m'as offert les poèmes d'Homère, répliqua finalement Alexandre, mais je les connais déjà en partie. Et je me rappelle que lorsque Ulysse, désireux de reprendre en main son armée, surprit un homme de troupe en train de crier, il le frappa
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LE FILS DU SONGE 89
avec le sceptre que le roi Agamemnon lui avait remis, en lui disant: L'auto~ité multiple ne vaut rien. un seul homme doit être le chef, doit être le roi: celui à qui le fils de Cronos aux pensées tortueuses a donné
les sceptres et les lois pour régner sur les hommes.
" Ce sont les~mots mêmes d'Homère.
-- C'est vrai. Mais Homère parle d'une époque très ancienne, o˘ les rois étaient indispensables du fait de la dureté des temps et des assauts incessants des barbares, du fait de la présence de bêtes sauvages et de monstres dans une nature encore sauvage et primitive. Je t'ai offert les poèmes d'Homère pour que tu grandisses dans le culte des sentiments les plus nobles, de l'amitié, de la valeur, du respect de la parole donnée.
Mais l'homme d'aujourd'hui, Alexandre, est un ani mal politique. Cela ne fait pas de doute. Le seul endroit o˘ il puisse grandir est la polis, la cité, telle que les Grecs l'ont conçue.
" C'est la liberté qui permet à chaque esprit de s'exprimer de créer, d'engendrer la grandeur. Tu vois, dans un …tat idéal, tout le monde saurait commander à la perfection dans sa vieillesse après avoir su obéir à la perfection dans sa jeunesse~
--C'est ce que je fais à présent, et ce que je ferai à l'avenir.
--Tu es seul, rétorqua Aristote. Je te parle de plusieurs mil liers de citoyens, qui vivent dans l'égalité sous la tutelle de la loi et de la justice, laquelle couvre d'honneurs ceux qui le méritent, règle les échanges et les commerces, punit et corrige ceux qui ont commis des erreurs. Une telle communauté ne repose pas sur des liens de sang, sur la famille ou la tribu, comme ici en Macédoine, mais sur la loi devant laquelle tous les citoyens sont égaux. La loi remédie aux défauts et aux imperfections des individus, limite les conflits et la compéti tion, récompense la volonté d'agir et d'émerger, encourage les forts, soutient les faibles. Dans une telle société, ce qui est honteux, ce n'est pas d'être humble et pauvre, c'est de ne rien faire pour améliorer sa propre condition. "
Alexandre réfléchit en silence.
" Je vais te donner une preuve concrète de ce que j'avance, reprit Aristote. Viens avec moi. "
Il quitta la pièce par une porte latérale, donnant sur l'exté rieur, et gagna une petite fenêtre qui laissait entrevoir l'atelier de fonderie.
" Regarde, dit-il en indiquant l'intérieur. Tu vois cet homme ? "
Alexandre acquiesça. Il y avait dans l'atelier un homme d'une quarantaine d'années, vêtu d'une courte tunique de tra vail et d'un tablier de cuir; à
ses côtés se trouvaient deux assis tants, l'un d'environ vingt ans, l'autre de seize. Ils étaient tous trois occupés à installer des outils, à disposer la grosse chaîne qui soutenait le creuset, et à verser du charbon dans la forge.
" Sais-tu qui est cet homme ? demanda Aristote.
--Je ne l'ai jamais vu.
-- C'est le plus grand artiste qui existe aujourd'hui au monde. C'est Lysippe de Sicyone.
--Le grand Lysippe... Un jour, j'ai vu une de ses sculptures dans le sanctuaire d'Héra.
-- Sais-tu ce qu'il faisait avant de devenir ce qu'il est aujourd'hui ?
Il était ouvrier. Il l'a été pendant quinze ans dans une fonderie, o˘ il percevait une paie de deux oboles par jour. Et sais-tu comment il est devenu le divin Lysippe ? Gr‚ce aux
institutions de la cité. La cité permet au talent de s'exprimer, et c'est gr‚ce au talent que chaque homme peut grandir à 1 instar d'une plante luxuriante. "
Alexandre observa le nouvel invité, qui semblait très
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