Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
extraordinaire ! Nous venons de i trouver le rocher o˘ Prométhée fut enchaîné. Ceci, ajouta-t-il en indiquant la saillie, pourrait être le nid de l'aigle qui lui dévorait le foie. Là, continua-t-il en montrant les ombres cou leur rouille, je vois les anneaux de la chaîne qui emprisonnait le Titan. Et voici l'empreinte que son corps a laissée... Si, comme je le crois, mon oncle Aristote a raison, ces montagnes sont les contreforts du Caucase, et ceci pourrait bien être le rocher de Prométhée. "
Cette nouvelle se répandit rapidement parmi les soldats: nombre d'entre eux quittèrent les rangs pour examiner le rocher, de plus en plus persuadés que Callisthène avait raison. Thessalos arriva, lui aussi. Inspiré par la grandeur du paysage, il se mit à déclamer d'une voix de stentor les vers du Prométhée d'Eschyle: la plainte du Titan enchaîné au rocher scythe. En rebondissant sur les parois à pic, les mots du grand poète s'en volèrent sur ces régions barbares, éternellement prisonnieres de l'étaùdu froid.
~ ther divin, vents à l'aile rapide, eaux des fleuves, sou rire innombrable des vagues marines, Terre, mère des
êtres, et toi, Soleil, oeil qui vois tout, je vous invoque ici: voyez ce qu'un dieu souffre par les dieux' !
A son tour, le roi s'arrêta et tendit l'oreille: Callisthène don nait la réplique à Thessalos en interprétant le rôle d'HéphaÔstos, obligé
d'enchaîner le Titan.
... tu vas sur ce rocher monter une garde douloureuse, debout toujours, sans prendre de sommeil ni ployer les
1. ESCHYLE, Prométhée enchaîné, trad. Paul Mazon, Paris, Gallimard, coll. "FOliO", 1982,P.210.
ALEXANDRE LE GRAND T F.!~ ~ONFTNS DU MONDE
genoux. Tu pourras alors lancer des plaintes sans fin, des lamentations vaines: le coeur de ~eus est inflexible; un nouveau maître est toujours dur'.
Ce morceau blessa Alexandre, comme s'il le visait explici tement.
C'est alors qu'un aigle s'élança d'une cime et plana solen nellement sur le désert de glace en poussant des cris stridents qui résonnèrent dans le vide. On aurait dit que Zeus répondait d'une voix courroucée aux paroles insolentes des mortels.
En se retoumant, Callisthène rencontra le regard absorbé du roi. Il dit:
" Ces vers ne sont-ils pas superbes ?
--Ils le sont ", répondit Alexandre avant de reprendre son chemin.
En seize jours de marche, l'armée traversa de part et d'autre l'énorme chaîne montagneuse au prix de terribles souffrances, et descendit vers la plaine scythe. On dut même abattre une partie des bêtes de somme pour franchir le dernier tronçon de cette formidable barrière, mais Alexandre put bientôt contem pler une nouvelle province de son immense domaine.
Du haut du dernier col, son regard embrassa une grande steppe, qui suscita un nouvel effroi parmi les soldats, surpris de voir ces terres semi-désertiques et br˚lées par le soleil suc céder à des neiges éternelles.
Et pourtant, sur les pas d'Alexandre, ils avaient le sentiment d'être avalés par un courant tourbillonnant, par une force à laquelle il leur était impossible de résister. Ils sentaient que l'aventure incomparable à
laquelle ils avaient pris part recom mençait. Ils savaient qu'une telle expérience n'était pas don née à tout le monde, tout comme le fait de pouvoir côtoyer un tel homme--si tant est qu'il s'agît bien d'un homme. En le voyant resplendir à leur tête dans sa cuirasse d'argent, flanqué de l'étendard rouge à étoile argéade, nombre d'entre eux s'étaient habitués à
le considérer comme un être surhumain.
En débouchant sur la plaine, ils se dirigèrent vers la capitale de cette région, une ville du nom de Bactres, qui se dressait au 1. Ibid., p. 208.
centre d'une oasis à la végétation luxuriante, o˘ ils purent enfin se restaurer. La ville se rendit sans combattre, et Alexandre confirma dans sa charge le vieux satrape Artaozos. Le vieillard l'accueillit en personne dans le palais et lui apprit que Bessos s'était retiré en br˚lant tout dans son sillage.
" Il ne pouvait imaginer que tu serais arrivé aussi vite, que tu aurais traversé la montagne en quelques jours, en dépit de la neige et de la faim.
N'ayant pu rassembler une armée assez grosse pour t'affronter en rase campagne, il a franchi le fleuve Oxus, l'un des plus grands courants qui descendent de nos montagnes, et il a rejoint les villes alliées, de l'autre côté, en détruisant les ponts derrière lui. "
A ces mots, le roi
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