Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
roi I Viens, on s'en va ! "
Avec l'aide de Perdiccas, il l'emmena vers la porte. C'est alors que Cleitos libéra une de ses mains, et qu'il se mit à crier en l'agitant: "
Hé, fils de Zeus ! Tu vois cette main ? Tu la vois ? C'est elle qui t'a sauvé au Granique, l'aurais-tu oublié ? " Puis il bouscula les deux compagnons et revint sur ses pas en criant et en insultant toujours plus le roi.
Alexandre s'empara d'une pomme, qu'il lui jeta au visage pour le faire reculer, mais Cleitos l'évita et continua d'avancer en le raillant. Aveuglé
par la colère, outragé par la désobéis~ sance de son ordonnance, ridiculisé
devant ses invités, le roi perdit la tête: il saisit la sarisse d'un des pézétairoÔ qui se tenaient derrière lui et la lança contre Cleitos, certain que lq général l'esquiverait et qu'il s'en tirerait par une belle peur...
Un instant s'écoula, un instant interminable au cours duquel~ Alexandre regretta son geste tout en se disant qu'en aucun cas l'arme n'atteindrait sa cible. Mais au cours du même ins tant, le Noir fut immobilisé par Ptolémée, bien décidé à le sauver de la colère du roi. Et la sarisse le traversa de part en part.
" Non ! Le Noir, non ! Non ! ", s'écria Alexandre. Il se préci pita vers le général, qui vomissait déjà du sang sur le sol. Aussi rapide que l'éclair, il extirpa la lance du corps de Cleitqs, l'ap puya sur le mur et prit son élan pour mourir de la même mort. Séleucos et Ptolémée l'arrêtèrent à temps. Alors il s'exclama en pleurant et en se débattant: "
L‚chez-moi ! L‚chez-moi ! Je ne mérite pas de vivre ! "
Léonnatos vint prêter main forte à ses amis, mais Alexandre s'était déjà
à moitié dégagé, il s'emparait de son épée et tentait de se tuer. Ses compagnons durent le désarmer et l'emmener de force.
Eumène n'avait pu réagir: il était assis de l'autre côté de la salle en compagnie de Callisthène. Il fixait à présent le corps de Cleitos tandis qu'un silence irréel envahissait les lieux o˘ des cris de gaieté et d'ivresse résonnaient encore peu de temps auparavant. Immobiles le long du mur, dans leurs uniformes de gala, les pages se dévisageaient d'un air plein d'effroi. Se tournant vers eux, Callisthène cita une sentence d'Aristote: " Celui qui commet un crime dans l'ivresse est doublement condamnable: parce qu'il s'est enivré et parce qu'il a commis un crime. "
Eumène lui dit alors en secouant la tête: " Mais pour qui te prends-tu? "
L'un des pages, en revanche, un certain Hermolaos, lui lança un regard admiratif.
Pendant trois jours et quatre nuits, Alexandre pleura déses pérément, en invoquant le nom de son ami tué. Il refusa de boire et de s'alimenter.
Inquiets de son état, craignant qu'il ne perde la raison ou la vie, ses compagnons supplièrent Aristandre d'intervenir. Le devin pénétra dans la pièce et parla longuement au roi, lui rappelant le rêve qu'il avait fait et le présage funeste des mou tons qui avaient quitté l'autel du sacrifice: cet événement était écrit. Il était inéluctable. Il finit par ramener Alexandre à la vie, mais dès lors, le spectre de Cleitos le Noir assombrit l'exis tence du roi, comblant de douleur et de remords le reste de ses jours. Il s'adonna plus volontiers à la boisson, et les pages à qui revenait l'honneur, selon la tradition, de veiller tour à tour
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sur son sommeil, conçurent du mépris à son égard en le voyant à plusieurs reprises rentrer ivre mort, soutenu par ses compagnons ou ses soldats, et s'enfoncer dans un sommeil lourd, ponctué de ronflements et d'éructations bestiales.
Seule Leptine continuait de le servir avec amour, priant ses dieux en silence afin qu'il retrouve sa sérénité.
Au début de l'automne, les deux corps d'armes se réunirent à Maracanda.
Cratère fut bouleversé par la nouvelle de ce ter rible drame. Afin d'éviter la présence du roi, qui l'aurait rem pli d'embarras, il se remit en marche vers le désert, bien décidé à donner une dernière leçon à la tribu des Massagètes qui adhérait à la révolte de Spitaménès. Mais ceux-ci avaient compris que le satrape serait incapable de soulever la Bactriane et la Sogdiane contre Alexandre; en outre, ils étaient épouvantés par l'épisode qui s'était déroulé sur le fleuve Artacoénes. Dravas leur avait également appris que ce roi venu d'Occident était un demi-dieu invincible, qui pouvait apparaître à l'improviste
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