Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
cheval. Alors, sa nature ambiguÎ et mystérieuse de centaure, tour à tour violente et sensible, ténébreuse et solaire, semblait s'exprimer en un mouvement harmonieux, en une sorte de danse initiatique, sous l'oeil resplendissant du soleil, ou dans l'ombre soudaine d un nuage.
Son corps sculptural se contractait à chaque bond, avant de se détendre en une large foulée; sa chevelure dorée, douce et brillante, rebondissait dans son dos comme une crinière, ses bras légers battaient comme des ailes tandis que sa poitrine se soulevait dans le halètement de la course.
Philippe le contemplait en silence, à califourchon sur son cheval, depuis l'orée du bois. quand il le vit s'approcher et qu'il comprit, à l'aboiement du chien, que celui-ci l'avait remarqué, il éperonna son destrier et rejoignit son fils en agitant la main. Mais il ne songea pas à l'arrêter. Il galopa à ses côtés, fasciné par la puissance de sa course, par le prodige de ses membres infatigables.
. Bientôt, le jeune homme fit halte devant un ruisseau, dans lequel il plongea. Philippe mit alors pied à terre. Un peu plus tard, l'adolescent et son chien firent un bond hors de l'eau et s'ébrouèrent ensemble. Le roi serra son fils contre sa poitrine et sentit que son étreinte était désormais aussi puissante qu¯ la sienne. Il se rendit compte qu'il était devenu un homme.
" Je suis venu te chercher, dit-il. Nous rentrons à la mai son. "
Alexandre le fixa d'un air incrédule: " Parole de roi ?
--Parole de roi, assura Philippe. Mais un jour viendra o˘ tu évoqueras cette période avec regret. Je n'ai jamais eu une telle chance; je n'ai jamais eu de chants, de poèmes, de dis cours sages. Voilà pourquoi je suis si las, mon fils, voilà pour quoi mes ans pèsent si lourd. "
Alexandre ne dit rien. Le père et le fils cheminèrent ensemble dans la prairie, en direction de l'école: le jeune homme suivi de son chien, le père tenant son cheval par les rênes.
Soudain, un hennissement s'échappa de derrière une col line qui dissimulait à leur vue la retraite de Miéza. C'était un son aigu et pénétrant, un souffle puissant, pareil à celui d'une bête sauvage, d'une créature chimérique. Puis on enten dit le hurlement des hommes, leurs cris et leurs appels, et bientôt le bruit de sabots de bronze qui faisaient trembler la terre.
Les hennissements retentirent à nouveau, avec plus de force et de fureur.
Philippe se tourna vers son fils et lui dit: " Je t'ai apporté un cadeau. "
Ils gagnèrent le sommet de la colline. Alexandre s'arrêta stupéfait: devant lui, en contrebas, un étalon noir se cabrait, luisant de sueur comme une statue de bronze sous la pluie. Cinq hommes, agrippés à des cordes et à
des rênes, tentaient d'en contrôler la formidable puissance.
Il était plus noir qu'un corbeau et avait sur le front une étoile blanche en forme de bucrane. Au moindre mouvement du col ou de l'échine, il projetait au sol les palefreniers qu'il traînait ensuite sur l'herbe comme des pantins inertes. Puis il retombait sur ses antérieurs et ruait avec fureur, fouettait l'air de sa queue, secouait sa longue crinière brillante.
Une bave sanglante ourlait son nez. Il s'immobilisait, l'enco lure fléchie, pour reprendre sa respiration, remplir d'air son poitrail et le vider à nouveau comme s'il exhalait une haleine de feu, un souffle de dragon. Il hennissait encore, secouait sa
superbe tête, contractait le faisceau de muscles pour mettre en valeur son garrot.
~` Comme frappé par un coup de fouet, Alexandre sursauta
-- soudain et s'écria: a Laissez-le ! Laissez ce cheval en liberté, par Zeus ! "
Philippe posa une main sur son épaule. " Attends encore un peu, mon garçon, attends qu'on l'ait dressé. Encore un peu de patience, et il t'appartiendra.
--Non ! hurla Alexandre. Non ! Je suis le seul à pouvoir le dresser.
Laissez-le tranquille ! Je vous dis de le laisser tran quille !
--Mais il va s'enfuir, dit Philippe. Je l'ai payé une fortune, mon fils !
--Combien ? demanda Alexandre. Combien l'as-tu payé ? jJ.:--Treize talents.
, --J'en parie autant que je réussirai à le dompter! Mais dledonne à ces misérables de le libérer ! Je t'en prie ! "
Philippe le regarda et vit qu'il était bouleversé: les veines de son cou étaient aussi gonflées que celles de l'étalon furieux.
' Alors, il se tourna vers ses hommes et leur cria: " Libérez le! "
Ils obéirent. L'un après l'autre, ils rel‚chèrent les cordes
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