Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
de sa lecture, Callisthène sentait croître son éton
~ nement devant la banalité et la totale insignifiance de cette r lettre.
Le souverain ne disait rien d'important ni de per , sonnel. C'était une missive complètement inutile. Mais pour quoi ?
Déçu, il posa le papyrus sur son écritoire et se mit à arpen ter sa chambre en essayant de deviner le sens de ce message, quand, jetant un coup d'oeil à la feuille, il s'aperçut que ses bords étaient ponctués d'entailles, des sortes de petites déchirures, qui, à bien les observer, avaient été savamment effectuées à l'aide de ciseaux.
Il se tapa le front: " Pourquoi n'y aije pas pensé plus tôt ! Mais oui, c'est le code des polygones qui s'entrecoupent. "
Il s'agissait d'~}n code de communication qu'Aristote lui avait jadis appris et qu'il avait lui-même transmis au roi
- ~
l
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d'~pire en pensant qu'il lui serait utile le jour o˘ il devrait conduire une campagne militaire.
Il s'empara d'une règle et d'une équerre et commença à relier toutes les entailles selon un ordre précis, puis tous les points d'intersection. Il traça ainsi des lignes perpendiculaires de chaque côté du polygone intérieur et obtint d'autres inter sections.
Chaque intersection soulignait un mot. Callisthène les recopia donc, l'un après l'autre, selon une suite de nombres qu'Aristote lui avait enseignée.
Une façon simple et géniale d'envoyer des messages secrets.
quand il eut terminé, il br˚la la lettre et se précipita chez Eumène. Il le trouva enseveli sous une montagne de papiers, occupé à calculer les impôts et les dépenses prévus pour l'équipement de quatre bataillons de la phalange supplémen taires.
" J'ai besoin d'une information, dit-il avant de lui murmu rer quelque chose à l'oreille.
--Ils sont partis depuis trois jours, répondit Eumène en levant le nez.
--Oui, mais o˘ sont-ils allés ?
--Je l'ignore.
--Tu le sais très bien.
--qui veut cette information ?
--Moi.
--Alors je l'ignore. "
Callisthène s'approcha et lui chuchota de nouveau quelques mots à
l'oreille. Puis il ajouta: " Peux-tu lui transmettre un message ?
--Combien de temps m'accordes-tu ?
--Au maximum deux jours.
--Impossible.
--Alors, je le ferai moi-même. "
Eumène secoua la tête. " Donne-moi ça, que comptes-tu faire toi-même ? "
Alexandre et Héphestion gravirent la chaîne des monts Argiriniens, dont les cimes étaient déjà saupoudrées de neige, puis ils descendirent vers la vallée de l'Aoos, qui brillait comme un ruban d'or au fond de cette verte étendue. Les flancs des montagnes, recouverts- de forêts, commençaient à
changer de couleur à l'approche de l'automne, et le ciel était parcouru par de longues envolées d'oiseaux et par le cri des grues qui abandonnaient leurs nids pour migrer au loin, vers les terres des Pygmées.
Ils cheminèrent pendant deux jours dans la vallée de l'Aoos, en direction du nord, puis rencontrèrent celle de l'Apsos, o˘ ils s'engagèrent. Ils laissaient derrière eux les terres d'Alexandre d'…pire et s'enfonçaient dans l'Illyrie.
Les habitants de ce pays vivaient dans de petits villages fortifiés, dotés de murs en pierres sèches, et tiraient leurs ressources de l'élevage des chevaux, parfois du brigandage. Mais Alexandre et Héphestion avaient prudemment enfilé des pantalons identiques à ceux que portaient les barbares, ainsi que des manteaux de laine brute. Ces vêtements ne leur donnaient pas belle allure, mais ils les protégeaient de l'eau et leur permettaient de passer inaperçus parmi la popula tion locale.
Dès qu'ils prirent la route des chaînes de l'intérieur, il se mit à
neiger et la température baissa. De grands nuages de vapeur sortaient des naseaux de leurs chevaux, qui peinaient sur les
sentiers gelés, si bien qu'Alexandre et Héphestion devaient fré quemment poursuivre leur chemin à pied en aidant leurs montures de leur mieux.
Parfois, ils s'arrêtaient au sommet d'un col pOUI1 jeter un coup d'oeil derrière eux et regarder d'un air déconcerté la blanche étendue de neige o˘
l'on ne voyait que leurs empreintes.
La nuit, ils devaient chercher un abri o˘ allumer un feu pour sécher leurs vêtements trempés, étendre leurs manteaux et se reposer un peu. Et souvent, avant de s'endormir, ils contem plaient longuement à travers la réverbération des flammes les gros flocons qui tombaient en dansant, ou écoutaient l'appel des
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