Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
du pain frais, des tranches de maquereau et d'espadon grillées.
" Je te mets dans une situation difficile, admit Alexandre. C'est mon père qui t'a installé sur le trône.
-- C'est vrai. Mais j'ai grandi, je ne suis plus un enfant. C'est moi qui le protège dans cette région, et je t'assure que ce n'est pas une t‚che facile. Il arrive fréquemment aux Illyriens de se montrer turbulents; les pirates infestent nos côtes et l'on signale, à l'intérieur, des mouvements de peuples nordiques, qui descendent le cours de l'Istros. Ton père aussi a besoin de moi. En outre, je dois sauvegarder la dignité de ma soeur
. Olympias. "
: Alexandre mangea un peu de poisson et but une gorgée de vin, un vin léger et pétillant qui provenait des îles Ioniennes. Il alla à la fenêtre qui donnait sur la mer en grignotant un morceau de pain.
" O˘ est Ithaque ? ", demanda-t-il.
Le roi tendit la main vers le sud. " L'île d'Ulysse se trouve là-bas, à
environ un jour de navigation en direction du sud.
Là, en face, c'est Corcyre, l'île des Phéaciens, o˘ le héros i fut hébergé dans le palais royal d'Alcinoos.
--L'as-tudéjàvue?
-- Ithaque ? Non. Mais il n'y a rien à y voir. l~lle n'est peuplée que de chèvres et de cochons.
--C'est possible, mais j'aimerais quand même m'y rendre.
~ Je voudrais y arriver à la tombée de la nuit, quand les flots r changent de couleur et que toutes les voies, terrestres et mari times, s'assombrissent; éprouver ce qu'éprouva Ulysse en la revoyant après une si longue absence. Moi, je pourrais... Je suis s˚r que je pourrais revivre ces sentiments.
--Si tu le souhaites, je t'y ferai conduire. Ce n'est pas loin, comme je te l'ai dit. "
Alexandre ne parut pas relever cette proposition. Il tourna le regard vers l'ouest o˘ le soleil, qui se levait derrière les monts d'…pire, commençait à rosir les sommets de Corcyre.
l ~
ALEXANDRE LE GRAND LE FILS DU SONGE 201
" Derrière ces montagnes et au-delà de cette mer s'étend l'Italie, n'est-ce pas ? "
Le visage du roi sembla s'éclairer: " Oui, Alexandre, c'est là que se trouvent l'Italie et la Grande Grèce. Des villes fondées par les Grecs, incroyablement riches et puissantes, telles que Tarente, Locres, Crotone, Thourioi, Rhégion, et tant d'autres encore. Il y a d'immenses forêts et des troupeaux, des milliers et des milliers de têtes de bétail. Des champs de blé que le regard ne parvient pas à embrasser. Et des montagnes cou vertes de neige en toutes saisons, qui se mettent brusquement à cracher du feu et des flammes en secouant la terre de trem blements.
" De l'autre côté de l'Italie il y a la Sicile, la terre la plus florissante et la plus belle qui soit. C'est là que sont situées la puissante Syracuse, Agrigente, Géla et Sélinonte. Plus loin, la Sardaigne, puis l'Espagne, le pays le plus riche du monde gr‚ce à ses mines d'argent inépuisables, à son étain et à son fer.
- Cette nuit, j'ai fait un rêve, dit Alexandre.
--quel rêve ? demanda le roi.
--Nous étions tous deux ensemble, à cheval, sur le sommet du mont Imaros, le plus haut de ton royaume. Je montais Bucéphale, et toi Cheraunos, ton cheval de bataille, nous étions inondés de lumière car, au même instant, un soleil se couchait sur la mer à l'occident, et un autre se levait à
l'orient. Deux soleils, te rends-tu compte ? Un spectaclc émou vant.
" A un moment donné, nous nous disions au revoir car tu voulais gagner le lieu o˘ le soleil se couchait, et moi, celui o˘ il se levait. N'est-ce pas merveilleux? Un Alexandre partant .vers le soleil levant, et un autre vers le soleil couchant ! Avant de nous quitter, avant d'éperonner nos chevaux respectifs vers la lumière du globe flamboyant, nous prononcions une pro messe solennelle: nous ne nous reverrions pas avant d'avoir mené à bien notre voyage, et notre lieu de retrouvailles serait. . .
--Alors ? ", demanda le roi en le fixant.
Alexandre ne répondit pas, mais son regard se voila d'une ombre inquiète, fuyante.
" Alors, o˘ ? insistait le roi. O˘ devions-nous nous ~etrouver ?
--Je ne m'en souviens pas. "
31
Bien vite, Alexandre comprit que sa présence à Boutrotos ne tarderait pas à devenir insoutenable, aussi bien pour lui que pour son oncle. Alexandre d'…pire continuait de recevoir de pressantes requêtes de Philippe afin qu'il oblige son fils à regagner Pella pour faire amende honorable et lui demander pardon devant la cour réunie.
Le jeune homme prit
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