Alias Caracalla
L’objectif
est désigné au dernier moment. Comme en mission,
nous devons être capables d’improvisation.
Les soirs d’opération, deux ou trois fois par
semaine, la paisible New Forest est parcourue par
des ombres discrètes.
Pour expliquer nos activités suspectes — en particulier les explosions, dont le parc retentit nuit et
jour —, les autorités britanniques ont fait croire
aux habitants alentour que les militaires d’Inchmery
étaient spécialistes de la mise au point de missiles.
Toujours le même schéma : après une marche
d’approche plus ou moins longue, nous arrivons
près de l’objectif désigné. Le site est gardé par des
sentinelles ; nous devons les neutraliser sans éveiller
leur attention. L’un après l’autre, nous sommes
désignés pour ce rôle ingrat. Craignant de recevoir
un mauvais coup, nous sommes sur nos gardes, ce
qui complique la tâche des assaillants. Dans la réalité, l’attention d’une sentinelle fléchit au cours dela nuit. L’heure propice se situe entre 2 et 4 heures
du matin. Pourtant, la plupart du temps, nous sommes surpris.
L’attaque d’un convoi est plus périlleuse. Au cours
de nos exercices, nous devons faire sauter les camions
d’un convoi transportant des munitions. Nous les
attaquons en rase campagne, de préférence au milieu
d’une côte. La technique est simple. Nous nous dissimulons sur le bas-côté de la route. Au moment où
l’instructeur nous désigne le « camion victime »,
nous surgissons à la vitesse du convoi et nous jetons
sous l’arrière du camion en nous accrochant avec la
main gauche au pont arrière. Traînés sur le sol,
nous plaçons l’explosif avec la main droite. Aussitôt
fait, nous lâchons prise pour nous redresser et nous
jeter dans un fossé ou derrière un talus.
L’opération doit se dérouler à une vitesse extrême
afin d’éviter de nous faire écraser par le camion suivant ou d’être abattus par l’aide conducteur de ce
véhicule. Enfin, nous devons échapper à l’explosion
quasi instantanée en devançant l’alerte qui immobiliserait le convoi.
Un exercice moins dangereux, mais plus fatigant,
concerne le déraillement des trains. Vignes fixe une
portion de rail à faire sauter sur la ligne de chemin
de fer traversant la New Forest. Loin d’Inchmery et
de la voie ferrée, la camionnette du camp nous lâche
dans la nature. Le lieutenant nous remet une carte
et une boussole pour nous diriger. Le but de l’exercice est de placer la charge de plastic avant le passage d’un train imaginaire, dont Vignes fixe l’heure
précise à 3 h 10 du matin. À tour de rôle, nous sommes le chef ou l’un des deux équipiers.
Ce soir, je suis le chef d’une équipe composée de
Briant et Griès. J’ai tout dit de Briant. Griès est un
garçon doux et intelligent, avec qui je m’entends à
merveille. Il parle parfaitement l’anglais, un atout si
nous nous égarons.
Les conditions météo ne sont pas extrêmes :
l’humidité est supportable et la demi-lune diffuse
une lumière suffisante pour nous repérer.
Vers 10 heures, la camionnette nous dépose à une
quinzaine de kilomètres de la voie ferrée : autour de
nous, une plaine quadrillée de prairies et de champs ;
aucun obstacle à l’horizon, du moins apparemment.
J’ai cinq heures pour réussir le sabotage. À une
moyenne de quatre kilomètres à l’heure, c’est plus
que nécessaire. Vignes a signalé l’objectif en traçant
un point rouge sur la carte.
À l’aide de notre lampe de poche, nous examinons
la possibilité d’un raccourci en ligne droite. Seuls
des marais nous séparent de la voie ferrée. Nous
pouvons les contourner, mais il faut ajouter trois
kilomètres, c’est-à-dire une heure environ. Comme
je ne veux pas risquer un retard, nous décidons de
traverser les marais.
Briant, toujours en forme, s’exclame : « Ça va
cailler ! » Sa physionomie benoîte contraste avec ce
ton argotique. Griès marche en tête avec la boussole, Briant suit avec la lampe. Je ferme la marche
avec la carte.
Par crainte de perdre du temps dans les marais,
nous marchons à vive allure. Trois heures plus tard,
nous les atteignons sans encombre. Après vérification de notre position, nous constatons que nous
sommes exactement dans l’axe de l’objectif.
Nous pénétrons dans les marais sans mot dire.L’eau glacée s’infiltre dans nos chaussures. Après
une heure de marche environ, Griès s’enfonce
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