Alias Caracalla
le
croire, par une sagesse tempérée par la raison. On
vous aime pour votre caractère primesautier. Je
crois que c’est un service à vous rendre que de vous
faire prendre conscience que la doctrine de Maurras
n’est pour vous qu’un alibi. Elle vous rassure, en
imprimant à votre pensée et à votre vie une unité,
une cohérence qu’elle n’a pas et qui, à mon avis, est
incompatible avec votre caractère. Devenez ce que
vous êtes. C’est votre charme. Sinon, attendez-vous
à des échecs répétés. »
Il sourit amicalement en énonçant ces vérités que
je soupçonne et dont j’ai honte, tant elles révèlent
mon impuissance à changer. Je lui suis reconnaissant de sa franchise dépourvue de malice.
Mardi 2 décembre 1941
Lettre à Charles Maurras
Trois jours ne se sont pas écoulés depuis ma
conversation avec le capitaine *Georges que je décide
de rompre avec Maurras. Dans mon cahier, je lui écris
une lettre imaginaire :
Vous avez créé le culte de la déesse France,
mais la seule action politique de votre vie a été un
reniement de votre doctrine en écrivant « l’armistice nous a apporté un bienfait ». Comment
pouvez-vous continuer à vivre après cette trahison ? […]
Il n’y avait plus d’autre solution, dites-vous :
« Encore quelques jours de combat et la France
se serait disloquée. » Si tous les Français avaient
pensé comme vous, il y a longtemps que la
France n’existerait plus. Oubliez-vous Corneille ?
Faut-il redire les mots du vieil Horace ?
« N’eût-il que d’un moment retardé la défaite,
Rome eût été du moins un peu plus tard
sujette. »
Ces vers posent la vraie question : à la signature de l’armistice, n’y avait-[il] plus un seul
avion ? Tous les bateaux étaient-[ils] coulés ? Nos
munitions épuisées ? Nos villes rasées ? Tous les
Français étaient-ils morts les armes à la main ?
Non. Et vous osez dire que nous avons été battus. Dites plutôt que nous avons été trahis. Que
vous avez trahi. Au nom de quoi ? Au nom de la
« France seule » ? Dérision : vous savez bien que
la France n’existe plus quand elle est dépecée par
l’ennemi.
Dans un moment de lucidité, pensez à vos
militants, aux morts pour la liberté ! Découvrez-vous, Charles Maurras, l’honneur français n’est
pas mort parce que vous avez trahi.
Ce soir, la rupture est consommée. Il a fallu plus
d’un an pour que, lentement, l’attachement à mon
idole se transforme en mépris.
Toutefois, ma condamnation de l’homme Maurrasépargne le doctrinaire, et je reste persuadé, en dépit
de Hauck, de *Georges, que la grandeur de la France
ne peut revivre que par l’ordre monarchique.
Lundi 8 décembre 1941
Les aléas du sabotage
Un communiqué laconique de la BBC annonce
que des avions japonais ont bombardé, à Hawaï, la
flotte américaine et coulé des bateaux de guerre.
Une bataille navale est en cours. Roosevelt déclare
la guerre au Japon ! De Gaulle a tout prévu : six mois
après la Russie, l’Amérique nous rejoint dans la
guerre. La victoire est à portée de main.
Après la joie, revient mon inquiétude : aurai-je le
temps de combattre ?
Durant le breakfast , pressés autour de ma TSF,
nous attendons des informations détaillées. L’appel
de nos instructeurs nous oblige à commencer les
exercices.
Après mon hospitalisation, le mois dernier, j’ai
trouvé au mess, au retour d’Inchmery, un nouveau
venu, Henri Pichard, aspirant artilleur de vingt-trois ans qui effectue un stage accéléré pour partir
en France.
En juillet 1941, il a réussi à s’évader du Maroc,
où il avait été mis aux arrêts après une tentative
d’embarquement vers l’Angleterre. Après avoir parcouru cent cinquante kilomètres à pied lors d’unedeuxième tentative, il a atteint Tanger et, le 1 er août
1941, débarqué en Angleterre.
Il a été récupéré par le BCRA, qui cherche désespérément des volontaires et recrute les nouveaux
arrivants après les interrogatoires de sécurité.
Afin de rattraper notre programme, il suit des
cours spéciaux. Aujourd’hui, après une démonstration du crayon-minute par son instructeur, c’est à
son tour d’essayer. Il écrase l’ampoule de fulminate
entre ses doigts, mais avant d’avoir le temps de
l’enfoncer dans le pain de plastic, le détonateur
explose, lui arrachant trois doigts et le blessant à la
jambe. Il est transporté en catastrophe
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