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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Cordier
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ne tiriez pas les conséquences de
votre engagement, ce que de Gaulle a fait à votre
place dans son discours d’hier. Vous, Cordier,
comment n’êtes-vous pas étonné — je devrais dire
révolté — du fait que Maurras, qui vous a enseigné
le nationalisme le plus intégral, celui qui fonde le
salut de la patrie comme couronnement de sa doctrine, non seulement ne soit pas à Londres auprès
de De Gaulle, mais au contraire se soit rallié au
Maréchal, qui a trahi la France ? Maurras prétend
qu’il l’a sauvée par la Révolution nationale. Il y a là
une contradiction dont vous devez sortir  : ou Maurras
a raison d’approuver l’armistice et la politique de
Pétain, et dans ce cas que faites-vous ici ? Ou vous
avez raison de lutter sous les ordres de De Gaulle
pour libérer la France, et dans ce cas Maurras et
Pétain sont des traîtres. Après plus d’un an deréflexion, il est temps de choisir. Le discours du
Général vous en offre l’occasion. Si vous attendez la
Libération, vous risquez quelques désillusions. »

    *Georges exprime ce que je sens confusément
depuis des mois. J’oscille au gré des événements ou
de mes nostalgies. Je n’ai jamais eu le loisir (ou la
volonté) d’ajuster mes convictions politiques aux
présupposés de mon engagement militaire. Mais le
chaos de mes opinions n’est-il pas un alibi pour
éviter une prise de conscience dont je redoute les
conséquences ? Le discours du Général me pousse
dans mes retranchements. Le capitaine a raison : il
est temps de mettre mes idées en accord avec mes
actes.

    Samedi 29 novembre 1941

     

    Aveuglement ?

    Mes camarades s’absentent parfois le samedi, où
nous sommes libres de partir dès midi. Certains vont
à Londres, d’autres dînent à Beaulieu. Seeds en
profite pour passer le week-end dans sa famille, à
Lymington.

    Le capitaine *Georges et moi sommes seuls à dîner.
Comme souvent, il est enjoué, parle de tout et de
rien. Paris surgit souvent dans sa conversation. Il
aime la poésie, citant de-ci de-là des poètes que
j’ignore : Artaud, Eluard.

    Pour me maintenir à flot, j’évoque l’ineffable
impression que m’a faite la découverte de Madame
Bovary , lu il y a quelques jours. Amusé par mon
enthousiasme, il me dit : « Il y a mieux encore, L’Éducation sentimentale . Il ne se passe rien dans ce
roman, mais si vous n’êtes pas trop impatient, je
crois qu’il vous plaira parce qu’on y traverse les
incertitudes de l’amour et le vagabondage du désir.
C’est bouleversant, même pour un passionné comme
vous.

    — Connaissez-vous un bon exposé critique de
l’œuvre de Flaubert ?

    — Lisez Thibaudet. Comme toujours, il est un
peu ennuyeux, mais il ne dit jamais de grosse
bêtise. De plus, vous connaissez l’auteur.

    — Vous faites allusion aux “Idées de Charles
Maurras”, je suppose.

    — Je vous ai vu le lire attentivement ces jours
derniers. Il y a longtemps que vous l’admirez ?
Êtes-vous sûr de bien connaître ses idées ? »

    Je perçois dans cette question une gentillesse qui
me touche : il abandonne la confrontation pour la
confidence. Je lui raconte à grands traits ma famille
royaliste et mon activisme à Bordeaux : « Je suis
reconnaissant à Maurras d’avoir apporté un ordre
profane dans ma vie. Il a remplacé celui de l’Église.

    — En vous écoutant, j’ai le sentiment de visiter
une œuvre d’art. C’est la force de Maurras d’avoir
imprimé à sa doctrine la cohérence d’un poème classique. Je comprends que vous soyez séduit, comme
beaucoup d’esprits remarquables que j’ai rencontrés. »

    Flatté par ce compliment imprévu, je suis désarmé.
« Cependant, reprend-il, ce qui me frappe c’est
qu’un garçon comme vous… » — il hésite sur la
qualification, que j’attends avec appréhension —
« disons indépendant, insoumis parce que original,
puisse adopter une doctrine aussi contraignante, mais
surtout aussi éloignée de son caractère et d’une certaine manière de son tempérament. Je me demande
si vous ne vous aveuglez pas sur vous-même ? »

    Je me souviens d’une conversation avec André
Marmissolle dénonçant mes contradictions. *Georges
poursuit dans les termes mêmes d’André : « Ce que
vous semblez ignorer, c’est que vous êtes un émotif,
un romantique et que votre vie est réglée selon votre
imagination fantasque, vos coups de foudre, vos
enthousiasmes, et non, comme vous semblez

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