Alias Caracalla
trait cruel
à l’égard des journalistes, des écrivains ou des hommes politiques, il le fait suivre d’un air contrit digne
d’un homme d’Église. Parmi ses nombreuses cibles,
je suis surpris de reconnaître les chefs des mouvements.
*Rex conserve avec lui une courtoisie qui est dans
sa manière d’être, tout en manifestant une fermeté
catégorique sur certaines questions. Bidault ne se
départit jamais d’une sorte de déférence à son égard,
bien étrangère à la gentillesse qu’il me manifeste.
Cela confirme ma première impression : *Rex est le
patron.
Lundi 3 août 1942
Premier rendez-vous avec des résistants
Ce matin, je sonne chez *Rex à 7 heures et lui
remets, entre autres, un télégramme du BCRA annonçant la nomination d’André Philip au poste de commissaire national à l’Intérieur. J’ignore tout de Philip,
arrivé en Angleterre après mon départ de Londres.
*Rex me dicte la réponse, faisant grand cas de cet
inconnu, mais regrettant de ne pas avoir été prévenu « pour préparer le terrain » auprès des mouvements. Il espère, pour l’unité de la Résistance, que
« les amis de Philip » auront le triomphe modeste.
Que signifie cette mise en garde ? En dépit de ma
curiosité, je ne pose aucune question. Mon travail
est d’exécuter les ordres, non de percer les secrets
de la Résistance. « Après l’avoir codé, vous le déposerez dans la boîte de *Kim.W. » J’ignore lequel de
mes camarades radios se cache sous ce pseudonyme.
*Rex me fixe ensuite quelques rendez-vous avec des
responsables de mouvements : le premier, à 2 heures, place Carnot, près de la gare Perrache, où il doit
me présenter *Frédéric, son représentant en zone
occupée ; le deuxième place Bellecour, à 4 heures,
« sous la tête », avec*Lebailly 23 , secrétaire général de
Combat ; le troisième, avec lui, à 5 heures, au coin
du pont Bonaparte.
À l’heure dite, j’attends *Rex au pied de l’escalier
monumental de la place Carnot. Quelques instants
plus tard, il m’entraîne, à l’angle de la place, au café La Normandie . Un homme à la crinière blancheattend au fond de la salle. Il se lève tandis que nous
approchons. « Je vous présente mon jeune secrétaire », dit *Rex. Il ajoute la phrase rituelle sur les
liaisons, puis nous plante là et repart.
*Frédéric est un homme brusque. C’est le plus âgé
des résistants que j’aie rencontrés jusqu’alors. On
sent le baroudeur : visage buriné, voix catégorique,
regard impérieux. Son style est radicalement opposé à
celui de *Rex. De loin, on pourrait le prendre pour
le chef ; de près, il est trop agité.
Le départ de *Rex me met mal à l’aise. Même si
*Frédéric se montre aimable, je perçois un halo
d’insécurité autour de lui : il parle trop fort. Il me
demande l’adresse de ma boîte et m’informe que les
rendez-vous, qu’il réclame par écrit, se dérouleront
toujours dans ce café. Il connaît le patron : « Il est
des nôtres. » Durant ses séjours à Lyon, il descend
constamment à l’hôtel voisin, où il est également
connu. En cas d’urgence, il me donne sa boîte à
Paris. Il vient à Lyon au moins une fois par mois et
me préviendra toujours afin d’organiser ses rencontres avec *Rex. « C’est un vieil ami. » Je suis surpris d’une telle confidence et me demande quelles
peuvent être les relations entre des personnalités
aussi dissemblables.
Je prends congé et me lève. Tandis que je m’éloigne, il lance à haute voix à mon intention : « Surtout n’oubliez pas l’adresse de ma “boîte” à Paris. »
Pour la sécurité, c’est réussi ! J’espère ne pas le rencontrer trop souvent.
Pour mon prochain rendez-vous, j’ai du temps. Je
consulte mon plan et constate que la rue Victor-Hugo,
toute proche, conduit en droite ligne de la place
Carnot à la place Bellecour. Je m’y rends à pied. À
4 heures, « sous la tête », je vois *Rex arriver enexpliquant quelque chose au jeune homme tête nue
qui l’accompagne. Je me dirige vers eux. Il me présente : « *Alain, mon jeune secrétaire, avec qui vous
organiserez la liaison avec moi. » Il nous quitte :
« N’oubliez pas : 5 heures. »
Je m’éloigne en compagnie de *Lebailly dans la
direction opposée. La jeunesse de ce garçon aux
cheveux roux et à la démarche énergique tranche
avec l’âge canonique de ceux que j’ai rencontrés
jusque-là. Je me
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