Alias Caracalla
admirait
l’idéal politique. C’est donc un homme imprévisible. »
Aux yeux de Bastid, les partis sont seuls garants
de la démocratie : « Je crois savoir que c’est l’opinion
de Léon Blum. » Je perçois de l’agacement chez *Rex,
qui réplique vivement : « C’est l’opinion de tous les
républicains : il n’y a pas de démocratie sans partis.
Le problème est que les partis de la III e République
ont trahi leur mission à Vichy le 10 juillet. Il est
impossible que les hommes qui ont bradé la
République à Pétain octroient au Général une légitimité qu’ils ont perdue et que celui-ci possède
depuis son appel du 18 Juin 1940.
— Il n’en demeure pas moins que l’on ne peut
accepter le règne d’un général, après celui d’un
maréchal.
— Ce sera une des fonctions du CGE que de proposer une formule de transition. Elle me semble
d’autant plus simple que le Général ne cesse de
revendiquer, depuis novembre 1940, l’héritage de la
III e République. Il a promis solennellement de le rendre intact au peuple dès la première réunion de
l’Assemblée élue après la Libération. Personnellement,
je serais partisan, durant la période de transition,
de proposer au Général le nom de quelques personnalités représentatives des principales tendances de
l’opinion pour étoffer son gouvernement. Ils deviendraient les garants démocratiques du passage de
l’ancien au nouveau régime. »
Après un silence, *Rex reprend : « N’oubliez pas
— je le répète parce que certains républicains
l’ignorent — que, pour le Général, la République n’a
jamais cessé d’exister. Si vous ne le connaissez pas,
je vous communiquerai le manifeste de Brazzaville. Il
devrait apaiser de ces craintes qui vous honorent. »
*Rex en vient enfin au but de sa visite : la nécessité d’une enquête dans les milieux parlementaires
afin de mieux cerner les perspectives politiques de
la Résistance. Il propose à Bastid de débattre du
résultat au cours d’une réunion du CGE, puis de préparer des conclusions pour le Général. L’ancien
ministre acquiesce.
Je remarque qu’au terme d’un débat courtois mais
souvent épineux, *Rex a eu le dernier mot. Au sortir
de l’appartement, il me prescrit de me rendre à Royat
pour convoquer Alexandre Parodi à la prochaine
réunion du CGE. Il en est membre sous le pseudonyme de *Quartus. Je dois, comme pour François
de Menthon, lui soumettre l’ordre du jour pour avis
et modification.
Mardi 4 août 1942
Soldat de la liberté
Après mon voyage à Annecy, je m’étais interrogé
sur les raisons d’un aussi long et fastidieux déplacement dans le seul but de porter une convocation :simple facteur, en somme. Que de temps inutilement
perdu ! Deux ans d’entraînement militaire sont-ils
indispensables pour accomplir cette tâche à la portée d’un enfant ? En dépit de ces réflexions désabusées, je commence à prendre goût à ces voyages,
qui me mettent, dans les gares et les trains, au
contact de la France de Vichy. Cette fois, je pars
pour Clermont-Ferrand.
Sortant de la gare vers midi, je prends un tramway jusqu’à Royat à l’adresse indiquée. Je suis
accueilli par des huissiers qui montent la garde au
premier étage d’un bâtiment officiel. Je demande
M. Alexandre Parodi et remplis une fiche au nom
de M. Régis. Quelques minutes plus tard, une porte
s’ouvre et un homme de l’âge de *Rex me fait entrer
dans un vaste bureau. Il montre le même mélange
de courtoisie et d’autorité que mon patron.
Je lui explique le but de ma visite et lui remets
l’ordre du jour du CGE, sur lequel il effectue, comme
François de Menthon, quelques corrections avant de
me le rendre. Lui non plus ne pose aucune question.
Après m’avoir reconduit à la porte, il me remercie
d’un regard complice et d’une chaleureuse poignée
de main. La brièveté de cette entrevue me laisse le
temps de visiter la ville avant de repartir. Contrairement au charmant Annecy, Clermont-Ferrand
ressemble à Lyon : même chaleur étouffante, même
tristesse des immeubles noircis, même aspect renfrogné des habitants.
Fidèle à la tradition familiale, je visite Notre-Dame-du-Port, que je trouve fort triste, comme le reste. Puis,
retournant au centre de la ville, je m’installe à la terrasse d’un café pour lire jusqu’à l’heure du départ.
Le soir, en arrivant à Perrache, j’ai terminé
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