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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Cordier
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que
nous ne nous reverrons peut-être jamais.

    Le cœur serré, je dois remplir ma mission de
« facteur » pour le fameux François de Menthon, qui
habite le château d’Annecy. Je file à la gare, achète les
journaux et m’installe dans un compartiment bondé.
Mes compagnons de voyage sont différents de ceux
du train de Montluçon. Le temps radieux incite la
zone libre à partir en vacances : familles en tenue
estivale, enfants jouant dans le couloir. Au fur et à
mesure que je m’éloigne de Lyon, je découvre des
paysages de montagne qui m’évoquent les Pyrénées.

    L’Action française me déçoit : Léon Daudet est
mort ; Maurras en vacances, et peut-être aussi
Thierry Maulnier. Quelle est la cause de la léthargie
du journal ? Est-ce le prix de la trahison ? Ma déception est si aiguë que je ne comprends plus mon
ivresse d’antan. Pour chasser les blessures de la
nostalgie et de la séparation, je me plonge dans la
lecture des journaux français. Le Figaro et Le Temps ,
que je ne lisais pas avant-guerre, parviennent à
éveiller en moi un vague intérêt.

    J’arrive en fin de matinée à Annecy et me rends
immédiatement au château de Menthon, au bord
du lac. Accueilli par une dame, je lui communique
le mot de passe : « Je viens de la part de Régis. »
Lorsqu’elle me fait entrer dans le vaste bureau, je
comprends qu’il s’agit de Mme de Menthon. Le
maître de maison se lève et m’invite aimablement
à m’asseoir. C’est un homme de grande taille au
visage avenant, dont les lunettes ne masquent pas
l’éclat du regard. Est-ce le ton de sa voix, ses manières ? Pour d’autres raisons qu’avec Bidault, je me
sens en confiance, même s’il n’est pas familier.

    Menthon écoute le message oral de * Rex et me
donne son accord pour la date de la réunion proposée pour la semaine prochaine. Il consulte l’ordredu jour, réfléchit et apporte quelques remarques.
Il me le rend, puis me raccompagne cérémonieusement à la porte. Ma visite a duré quelques instants :
nous n’avons pas échangé vingt mots. Est-ce cela la
Résistance ?

    Revenu en ville, je constate que le train pour
Lyon ne part qu’en fin d’après-midi. J’ai le temps de
déjeuner et de flâner. Après le repas, je m’assois sur
un banc, au bord du lac. Dans l’après-midi, je rentre à Lyon. Cette journée de vacances, au milieu des
cris d’enfants, des jeux et des ballons, dans l’atmosphère paisible du bord du lac, a éradiqué mes peurs.
Pour la première fois, je me sens intégré à la foule
nonchalante. Dans cette province reculée, je ne
reconnais pas le pays que j’ai quitté sombrant dans
le chaos, deux ans auparavant.

    L’arrivée à Lyon-Perrache marque le retour à la
réalité, c’est-à-dire à la crainte : je suis un nomade,
un clandestin, un hors-la-loi. La délicatesse des Moret
ne change rien à ma condition de proscrit. Au
contraire, en me faisant sentir l’absence de ma
famille, elle accuse l’irrémédiable rupture.

    J’arrive en avance au rendez-vous de 7 heures
avec * Rex. Pour éviter de flâner trop longtemps dans
la gare, je m’assois dans un des cafés de la place
Carnot. À l’heure dite, je guette le patron devant la
sortie principale. Il m’a demandé de le suivre à distance, mêlé à la foule, afin de vérifier qu’il n’est pas
suivi.

    Ne l’ayant rencontré que quatre fois, je crains de
ne pas le reconnaître. Effectivement, je ne le remarque pas tout de suite. Il est perdu dans la cohue desvoyageurs chargés de lourdes valises. C’est lorsqu’il
passe devant moi que je l’identifie soudain à son teint
hâlé et à l’espèce de moue du menton qu’il arbore. Je
comprends ma surprise : aujourd’hui, il porte une
casquette pied-de-poule alors que j’attendais l’homme
au chapeau de feutre de notre première rencontre.

    Il descend l’escalier monumental surplombant la
place. Je le suis avant de le rejoindre à l’intérieur
d’un café. Je lui rends compte de ma mission et lui
remets le texte corrigé par Menthon enveloppé dans
un journal. Il se lève et me demande de l’attendre
tandis qu’il part le consulter aux toilettes. Nous
rejoignons ensuite Georges Bidault au restaurant.

    Au cours du dîner, je comprends mieux leurs
relations. Existent entre eux une sympathie et une
complicité évidentes, en dépit de leurs différences
de caractère et de culture, non moins évidentes.
Bidault est volubile. Lorsqu’il décoche un

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