Alias Caracalla

été déicides.

    Bidault signale à * Rex l’action du père Chaillet,
qui, avec d’autres religieux, n’hésite pas à prendre
tous les risques pour sauver les enfants. Ce jésuite
est le fondateur du journal clandestin Témoignage
chrétien . Il a recueilli des centaines d’enfants, qu’il a
placés dans des couvents ou des établissements charitables. Le préfet du Rhône, Angeli, hostile à ce sauvetage, a menacé Chaillet d’emprisonnement. L’affaire
a pris des proportions nationales, puisque le cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, primat des Gaules,
est intervenu en personne auprès du chef de cabinet de Bousquet, secrétaire général de la police à
Vichy. L’adhésion du cardinal Gerlier au maréchal
Pétain lui confère une autorité qu’on ne peut négliger. En réponse à sa requête, le préfet Angeli a
envoyé le père Chaillet en résidence forcée à Privas.

    *Rex écoute attentivement. Aux noms d’Angeli
et de Bousquet, qu’il semble connaître, il réagit :
« Rassurez-vous, le courage des lâches a des limites.
Même dans l’Administration. Compte tenu des relations privilégiées de l’Église avec le régime, je ne
crois pas qu’Angeli fasse arrêter le père Chaillet. Le
scandale serait public et les raisons injustifiables,
vis-à-vis d’une opinion jusqu’ici indifférente, mais
troublée par les rumeurs et finalement hostile à ces
arrestations. N’oublions pas que les Français sont
certes antisémites, mais modérément. »

    Bidault informe * Rex qu’il a télégraphié ces informations à Londres : « J’espère qu’ils vont dénoncer
publiquement les bourreaux. Jusqu’à présent, ils
sont restés plutôt silencieux à la BBC. Seul André
Labarthe semble avoir compris cette tragédie. »
Bidault cite quelques phrases, dans lesquelles je
reconnais le lyrisme fiévreux de Labarthe, dont
j’aimais les articles :

La France est une chambre de torture, la France
serait la fosse aux Juifs ! […]

    Devant la déportation, le Juif doit trouver un
refuge, une cachette partout en France. Les
Juifs de France sont placés sous la sauvegarde
des Français. Quand le pouvoir ou l’État trahit
le peuple, il doit monter en ligne.

    *Rex commente laconiquement : « Ça ne m’étonne
pas de cet homme engagé dans tous les combats
pour l’honneur.

    — J’espère qu’il a amorcé une campagne qui va
s’amplifier.

    — Nous devons être prudents dans la propagande :
il ne faut pas qu’on accuse le Général de faire la
guerre pour les Juifs. En revanche, il faut les aider
concrètement et tout faire pour s’opposer à leur
déportation  : en les libérant des camps de regroupement, en sabotant les transports, en créant des
chaînes d’aide et de refuge.

    — Théoriquement, tout le monde est d’accord,
mais, pratiquement, seule une infime minorité
accepte de se dévouer aux causes perdues.

    — Ça tombe mal parce que les deux chefs de
mouvement sont en attente de départ pour Londres.
Leur esprit est occupé par le problème de l’armée
secrète. Pourtant, il faut absolument intervenir. La
Résistance ne peut demeurer indifférente devant
cette tragédie. Je vais étudier la question avec
*Charvet [Frenay]. »

    Je constate que Bidault et * Rex sont d’accord sur
le déshonneur du crime de Vichy, mais pas sur l’intervention des mouvements  : * Rex veut agir immédiatement, tandis que Bidault estime que les mouvements
n’en ont pas les moyens, en admettant qu’ils en aient
la volonté : « Hélas, ne vous leurrez pas : la bonne
volonté se brise contre l’impuissance. »

    Je raccompagne * Rex pour notre rituelle promenade d’après-dîner. La chaleur accablante et la
tension du travail de la journée sont retombées. Je
le sens détendu, même si la fatigue se lit parfois sur
son visage. Il m’entraîne au bord du fleuve. Après
8 heures, le quai comme la ville sont déserts. Nous
sommes libres de nous exprimer sur tous les sujets,
à condition de ne pas élever la voix. Traversant le
pont de la Guillotière, il aime s’accouder au parapet
pour contempler le Rhône, comme si celui-ci charriait la réponse à ses interrogations.

    Ce soir, * Rex demeure songeur. Je sais qu’il pense
aux Juifs. Après un moment, faisant allusion aux
bourreaux, il ne peut s’empêcher de lâcher : « Quels
salauds ! » C’est la première fois que j’entends un
gros mot dans sa bouche. Comme je ne sais que
répondre, il reprend : « Vous