Alias Caracalla

jugements sur les gens et les
faits ? Tout se précipite actuellement. Est-ce un
pas vers le dénouement ? Je serais tellement heureux de m’entretenir avec toi de tout cela. Une
lettre, c’est si court. Ah ! si jamais je pouvais un
jour me rendre à Lyon… Je connais ta boîte aux
lettres : je te ferais signe.

    Actuellement, je me déplace beaucoup ; nécessité du métier. Sais-tu que je suis inscrit à la
faculté de droit de Strasbourg ? Étudiant en droit,
c’est tout ce que je pouvais faire. Et tu comprendras tout de suite que je suis le plus irrégulier et
le plus fantasque des étudiants en droit.

    Je lis un peu. Actuellement je suis dans LesHauts de Hurlevent (au bout de cinquante pages
j’ai failli fermer le livre, mais maintenant je m’y
intéresse). C’est du tragique intérieur, qui a peut-être son équivalent chez nous en Bernanos, dont
j’ai lu à peu près tous les romans. L’ensemble du
bouquin me trouve réfractaire. Il recueille pourtant tous les suffrages. La psychologie me paraît
puérile, bien que les caractères soient fortement
en relief et la trame romanesque. Peut être ai-je le
tort de ne chercher dans les livres que je lis que
des conflits purement intérieurs…

    Avant-hier j’ai entendu le P. ; sujet de la conférence : « Pascal, génie français ». Un peu trop
sommaire peut-être, mais tu te serais certainement délecté. Je t’en parle parce que j’ai eu là le mot
d’une question qui me tracassait depuis quelque
temps : je me demandais si le renoncement total
impliquait le renoncement à l’intelligence et aux
plaisirs intellectuels. Le Seigneur en effet n’a jamais
dit « Bienheureux les intelligents ». Et je ne suis
pas loin de mettre à mal cette intelligence ! Et cite
cette fameuse parole de Pascal, que je me souviens
bien avoir lue jadis et que tu dois connaître, des
trois ordres de grandeur de la nature : l’ordre
physique, l’ordre de l’intelligence et l’ordre de la
charité, ce dernier étant le premier, et une différence
insurmontable les séparant les uns des autres
puisque différence de nature.

    J’en ai conclu qu’il y a soumission de l’ordre
inférieur à l’ordre supérieur, mais qu’en aucun
cas la plénitude de l’ordre supérieur n’affectait
l’ordre inférieur, puisque de nature différente. Je
ne sais pas si j’ai raison.

    Me voici de nouveau acclimaté après plus de
trois mois. Ce qui me coûte le plus à certainsmoments c’est l’isolement. Je ne sais si tel est ton
cas. Je recherche le bruit, la foule, la masse, les salles de spectacle. Et puis j’ai été déçu. Le Français
est définitivement devenu froussard, ou timoré. Je
note toutefois qu’il commence à se réveiller.

    Je continuerai la prochaine fois.

    Mon cher Dany, mes amitiés, avec l’espoir de
te lire,

    François.

    Cette lettre rend présente son absence et pose
avec acuité la question latente à l’égard de tous mes
camarades d’Angleterre, mes seuls camarades : Les
reverrai-je un jour ?

    Vendredi 13 novembre 1942

     

    La Résistance soutient de Gaulle

    Durant le dîner avec Bidault, * Rex examine à nouveau les adhésions à son « manifeste ». Il n’est qu’à
moitié satisfait. Il a obtenu immédiatement l’accord
des trois mouvements. Le nouveau groupe syndical
formé par la CGT et les syndicats chrétiens a compris le but de l’opération. Avec les représentants des
partis, c’est plus délicat.

    Le Comité d’action socialiste voudrait monnayer
une place pour le groupe afin de travailler à égalité
avec les trois autres mouvements. Pour le Parti radical, * Rex attend une réponse de Bastid, qui tente de
le faire signer par Herriot. Il a envoyé un ami de
Louis Marin à Vichy pour obtenir son accord, mais
c’est un homme difficile. Le seul à être d’accord dèsle premier jour est Bidault. Pour les communistes,
Fernand Grenier a indiqué qu’il devait réclamer
l’accord de Paris.

    Je n’ose avouer à * Rex qu’en dépit de sa parfaite
courtoisie, j’ai l’impression qu’il n’obtiendra rien
des communistes tant que la situation de De Gaulle
ne sera pas réglée à Alger. Mais je me trompe peut-être et garde le silence.

    En principe, * Rex revoit demain les représentants
du Comité d’action socialiste, du Parti radical et du
groupe Marin et me demande de rencontrer le représentant du parti communiste. Bidault demeure en
arrière  : « Je vous avais prévenu ; les porte-parole